Laurence Vanhée (S.P.F. Sécurité Sociale)
Talent Avenue
ouvre l'horizon des
fonctionnaires |
Les fonctionnaires vont bientôt pouvoir vivre une sorte d'échange Erasmus professionnel: par l'intermédiaire de Talent Avenue, il leur sera possible d'effectuer une mission de six à dix-huit mois dans une autre organisation. Une approche collaborative innovante tout bénéfice tant pour le développement personnel du travailleur que pour les organisations concernées.
Vivre une mobilité n'est pas chose simple au sein de la fonction publique belge. La gestion de la carrière y demeure en effet particulièrement lourde. « La réglementation vient récompenser l'acquisition de compétences sanctionnée par des examens et des formations certifiées, eux-mêmes couplés à l'ancienneté et aux diplômes, explique Laurence Vanhée, Chief Happiness Officer (DRH) du Service Public Fédéral Sécurité Sociale. Elle tend à figer les personnes au sein de leur organisation. Par ailleurs, il ne nous est pas permis de réaliser des plans de succession, par exemple. Il en résulte que, dans les enquêtes de satisfaction comme dans les interviews de sortie, un point de mécontentement récurrent touche à la carrière et aux possibilités d'évolution. »
La problématique a été au cœur des débats du think tank « HR Excellence in Public Sector » (HREPS). Celui-ci regroupe des présidents, des directeurs généraux et des DRH des services publics fédéraux ainsi que leurs homologues d'autres institutions publiques du pays. Constitué en décembre 2009, il s'est donné pour mission de promouvoir les bonnes pratiques RH et managériales rencontrées dans la sphère publique, mais également d'innover et de sortir des sentiers battus pour pouvoir faire face aux réductions budgétaires et aux changements que connaît le marché des talents.
C'est ainsi qu'est née Talent Avenue, une plateforme web, partagée exclusivement par les organisations qui en sont membres, visant à favoriser la mobilité des talents dans l'intérêt des collaborateurs et des organisations. Cette démarche innovante de gestion collaborative des talents est une première mondiale qui a séduit LinkedIn, devenu partenaire du développement de Talent Avenue sur base du cahier des charges de HREPS. Cette plateforme doit permettre aux travailleurs de la fonction publique de s'investir dans d'autres projets ou d'apprendre d'autres processus au sein d'une autre institution que celle qui assume leur salaire.
De nouvelles compétences
Aujourd'hui, les activités professionnelles sont de plus en plus réalisées en réseau et par projet. Concrètement, cet investissement prendra la forme d'une mission temporaire d'une durée de six à dix-huit mois, à raison d'au moins un mi-temps. « Le collaborateur reste salarié de son organisation initiale: son package salarial et son statut ne changent pas, explique Laurence Vanhée. L'affectation s'accompagnera d'une annexe ou de dispositions administratives pour garantir le respect tant des droits et des devoirs relatifs à sa fonction. Seuls l'environnement de travail et les missions à effectuer seront différents. Le but pour le talent n'est pas de gagner plus d'argent, mais de poursuivre son développement personnel et de développer son réseau. »
Le collaborateur va ainsi pouvoir découvrir un nouvel environnement de travail et y acquérir de nouvelles compétences, dont il fera ensuite bénéficier son organisation. « Quand mobilité il y a, on l'observe entre organisations de la fonction publique fédérale, très rarement entre ces dernières et des organisations de la fonction publique régionale ou communautaire, des villes, des universités, etc., indique-t-elle. Ce sera désormais également possible. Dans neuf mois, le dispositif sera ouvert au secteur privé, dont plusieurs organisations ont déjà exprimé un intérêt. Il faudra pour cela encore vaincre la tendance à un certain repli du public sur lui-même, mais les avantages d'un tel échange intersectoriel sont évidents. »
Se rendre attractif
Le dispositif se veut aussi ouvert que possible, laissant au talent l'initiative de choisir lui-même son opportunité de développement sur base de la publication d'ordres de mission. Il ne s'agit donc pas d'un échange entre organisations, mais plutôt d'une sorte de « programme Erasmus » de l'entreprise… avec l'enjeu sous-jacent pour les organisations de se rendre attractives. « La nouvelle guerre des talents se caractérise par des employés qui choisissent un employeur, et non l'inverse, justifie Laurence Vanhée. Fidéliser ses meilleurs éléments prend une importance croissante, mais les managers doivent aussi prendre conscience que les talents qui constituent une équipe ne sont pas leur propriété exclusive. C'est dorénavant le collaborateur qui choisit les activités dans lesquelles il aura envie de s'investir. »
Qui Talent Avenue va-t-elle prioritairement concerner? « Quand nous en parlons, j'entends que l'on pense plutôt à des fonctions aux compétences rares, pointues ou à très haute valeur ajoutée. Ou encore à des profils nouveaux pour lesquels les organisations n'ont pas (encore) de budget, faute d'anticipation suffisante des futurs développements de leurs services – par exemple, le Community Manager, le Dataminer, le Business Architect, le Business Analyst, etc. »
Gentlemen's agreement
Si l'initiative a d'abord été reçu avec un certain étonnement, la réponse se transforme vite en un 'Pourquoi ne l'a-t-on pas déjà fait avant?'. Plusieurs organisations ont déjà confirmé leur participation ou sont en passe de le faire – la Chancellerie, les SPF Intérieur, Budget et Contrôle de la Gestion, Personnel et Organisation, Finances et Sécurité Sociale, la DG Energie du SPF Economie, la Fédération Wallonie Bruxelles, etc. En régime de croisière, les membres auront la possibilité d'ouvrir environ 40 missions par an et par organisation. Dans un premier temps, le dispositif devrait tourner avec entre 10 et 20 missions ouvertes par organisation, le temps de trouver ses marques et de faire connaître le projet.
Sur le risque de débauchage que ce type de plateforme pourrait comporter, Laurence Vanhée se montre très confiante. « On ne peut bien sûr pas l'exclure, mais si une organisation qui reçoit un talent veut le débaucher, elle doit dégager un budget et ouvrir une procédure à cette fin. Ce qui n'est pas forcément évident. A toute fin utile, les membres de Talent Avenue s'engagent à ne pas négocier de transferts de talents et à respecter une charte/gentlemen's agreement. Quoi qu'il en soit, si un collaborateur ne revient pas dans son organisation source, c'est qu'il l'aurait quittée de toute façon. Le dispositif n'échappe pas aux règles classiques de la vie en entreprise et des enjeux RH associés. Ainsi, il faudra par exemple que les organisations se dotent d'une procédure de type 'atterrissage' pour la personne qui revient – un peu comme on accueille le retour de quelqu'un parti en expatriation – et des méthodes permettant de diffuser l'apprentissage de celle-ci au sein de son organisation. »
Plus d'infos: www.talentavenue.be |