Philippe Mettens (Politique scientifique)
« Etre foyer de création implique d’abord d’apparaître crédible » |
Bien qu’employant quelque 2.800 agents et gérant un budget de l’ordre de € 500 millions, le Service public fédéral de la Politique scientifique (BELSPO) jouit d’une notoriété moindre que d’autres administrations fédérales. Une situation qui s’explique en partie par le fait que la plupart des directions générales qui le composent ont pignon sur rue. C’est le cas, entre autres, des musées – Musées royaux d’art et d’histoire, Musées royaux des Beaux-Arts, Musée royal d’Afrique Centrale –, des Archives de l’Etat, de la Bibliothèque royale, de l’Observatoire royal de Belgique et des différents instituts scientifiques dont l’Institut royal météorologique ou encore l’Institut des Sciences Naturelles.
« Une de nos spécificités tient au fait que nous gérons des recettes propres, par exemple dans le cas des musées », indique Philippe Mettens, président du comité de direction de la Politique scientifique fédérale. Le service public qu’il pilote gère aussi la contribution belge à l’Agence spatiale européenne, le réseau BELNET qui fournit des services internet à haut débit aux universités, hautes écoles, centres de recherche et services publics belges, et le secrétariat de la station de recherche en Antarctique. C’est dire que les métiers qu’on y retrouve sont pour le moins divers. « Ils vont du financement de programmes de recherche dans les universités et les centres de recherche au soutien des efforts de R&D des sociétés actives dans le domaine aéronautique, en passant par de la recherche propre au sein des établissements scientifiques, la promotion des collections artistiques ou encore la coordination des matières grises du pays et leur intégration dans les réseaux internationaux. »
Autre dimension atypique: ce S.P.F. emploie des fonctionnaires dont la grande majorité sont des scientifiques, des chercheurs, des spécialistes de l’art… voyageant parfois aux quatre coins du monde. « La proportion d’universitaires est plus élevée chez nous que dans tout autre S.P.F.: elle s’affiche à 33% pour une moyenne fédérale de 19%. Cette caractéristique a des implications en matière de GRH. Très spécialisés dans des domaines souvent pointus, nos collaborateurs fonctionnent de façon assez autonome. Certains maîtrisent leurs sujets mieux que personne. Un modèle très hiérarchisé ne fonctionnerait pas. Nous avons une structure plate, avec des directeurs généraux qui sont davantage des coordinateurs que des patrons hiérarchiques. Ce mode de management crée un autre lien, fondé sur le respect, la confiance et la responsabilisation. »
Fibre RH
Avec une telle population, on ne s’étonnera guère que les principaux défis RH portent sur l’attraction de profils pointus ou rares sur le marché, sur la gestion des carrières et sur la rémunération pour la rendre aussi compétitive que possible. « Au niveau des établissements scientifiques, nous avons élaboré un nouveau statut pour le personnel scientifique, attendu depuis plus de vingt ans. Une revalorisation barémique et des possibilités de carrière plus intéressantes y ont été associées, afin notamment de rendre les progressions au moins aussi attractives – sinon plus – que ce qu’il pourrait connaître à l’université. Il a par exemple fallu revoir les critères d’évaluation. Un scientifique est évalué sur le nombre et la qualité de ses publications. Or, chez nous, certains pouvaient être handicapés dans leur progression du fait qu’ils ne font plus de recherche au sens strict mais, par exemple, contribuent à la valorisation du patrimoine. »
Docteur en neurosciences à la Faculté de médecine de l’Université de Mons, Philippe Mettens a lui-même travaillé comme chercheur pendant une dizaine d’années, avant d’évoluer en tant que chef de cabinet de plusieurs ministres. Aujourd’hui, il fait partie de ces hauts dirigeants de l’administration exprimant une fibre RH marquée, comme peut notamment en témoigner son implication dans le réseau HR Excellence in Public Sector. Lancé en décembre dernier à l’initiative du Selor et de mRH, éditeur de RH/HR Tribune, avec le soutien de Securex, HR Access, Microsoft et BNP Paribas Fortis, ce think-tank de haut niveau travaille actuellement sur trois chantiers: l’élaboration d’un mode d’emploi pour le contrat d’administration, la mise en place d’un réservoir transversal de gestion des talents et le partage d’indicateurs de performance avec l’autorité.
« Un débat important a été initié au sein du S.P.F. Politique scientifique sur l’opportunité ou non d’octroyer aux établissements scientifiques séparés des contrats d’administration, confie Philippe Mettens. On peut y voir le risque d’ouvrir une porte vers plus d’autonomie, voire vers leur indépendance pure et simple. Ce n’est pas mon point de vue. J’y vois plutôt la mise sur papier d’une série d’engagements permettant de clarifier les missions, les attentes et les objectifs assignés à l’institution. »
Faire ensemble
Cet objectif n’est-il pas déjà atteint avec les plans de management? Philippe Mettens n’en est pas convaincu. « Avec le plan de management, c’est la personne qui est évaluée, et non pas l’institution qui en est la cible, que ce soit le S.P.F. en tant que tel, le département ou encore l’établissement scientifique, estime-t-il. Les individus peuvent se placer dans un état d’esprit selon lequel ils seraient plus préoccupés par leur propre avenir que par celui de l’institution. Un autre risque réside dans la tentation de jouer ‘petit bras’ dans la définition des objectifs, par crainte ensuite de ne pas être évalué positivement. Il manque, selon moi, dans les plans de management l’idée de ‘faire ensemble’. »
Traduction: les managers devraient être plus impliqués dans l’avenir de leur administration et moins axé sur la volonté de conserver leur mandat. « En ce sens, le contrat d’administration peut permettre de renforcer la vision de service public dans un sens collectif. Ce qui donne de la force à nos activités, ce sont les synergies que nous pouvons mettre en place, par exemple entre nos différentes directions générales. Un contrat d’administration peut se révéler être un excellent outil d’intégration, de décloisonnement dans le cadre duquel chacun s’engage à la réalisation d’objectifs communs. C’est donc un des intérêts de ce think-tank que d’avoir un partage de visions et d’expériences sur le sujet, de sorte d’élaborer un modèle praticable et adapté à notre organisation. »
Le deuxième chantier, à savoir la réflexion sur la mise en place d’un réservoir transversal de gestion des talents, répond à une autre des préoccupations de Philippe Mettens, à savoir celle de stimuler la mobilité. « On parle beaucoup de mobilité entre administrations et c’est, bien entendu, important. Un préalable serait sans doute de favoriser la mobilité du personnel au sein même de nos S.P.F., observe-t-il. Et l’on en revient directement à cette idée de projet commun et de décloisonnement! Aujourd’hui, les individus se retrouvent quelque peu coincés dans le plan de management de leur responsable hiérarchique. Ces plans tendent à rendre les managers propriétaires de leurs ressources: laisser partir un bon élément peut avoir un impact négatif sur la réalisation de leurs objectifs. Par contre, si l’on réfléchit à l’échelle des objectifs de l’institution, la perspective de partager les ressources devient plus mobilisable. »
C’est, selon lui, cet esprit qu’il convient de stimuler. « Quand j’ai réalisé mon propre plan de management, j’ai souhaité impliquer d’autres personnes dans l’idée de développer un projet plus collectif, illustre-t-il. Certaines se sont montrées d’emblée réceptives. D’autres m’ont par contre laissé entendre que le manager, c’était moi. C’est compréhensible: pourquoi en tant que fonctionnaire devrait-on s’impliquer dans la définition d’un projet qui, in fine, a pour but de préserver le job de son patron? Le cadre des contrats d’administration pourrait nous situer dans une toute autre perspective. »
Travailler sur le sens
« Aujourd’hui, dans l’administration, la mobilité s’envisage trop souvent dans le cadre d’une réflexion tactique de l’individu sur son propre statut, analyse Philippe Mettens. Pour le dire un peu schématiquement, le moteur se situe plus dans le fait de saisir une opportunité que dans la perspective d’intégrer un projet. C’est cet aspect qui gagne à être renforcé. Il serait donc intéressant qu’il y ait davantage d’informations disponibles sur les activités des diverses administrations, le projet qui y est développé et le sens qui y est attaché. Cela implique pour chaque institution de travailler sur la communication et sur le sens de ses missions. Ici aussi, le contrat d’administration pourrait contribuer à donner une plus grande visibilité. »
La « circulation des compétences » n’en est d’ailleurs pas le seul enjeu. « Il en va clairement de la motivation du personnel. Que constate-t-on? Si un fonctionnaire se sent placé dans un carcan, il va soit chercher un autre job, soit continuer à accomplir le sien en attendant 17 heures pour rentrer chez lui, ce qui induit de la démotivation et de la déresponsabilisation. Il est essentiel de parvenir à ce que chacun puisse se sentir impliqué, à un degré ou un autre, dans un projet global qui fasse du sens pour lui. En ayant une vision sur le projet d’ensemble, on n’est plus seulement un maillon dans la chaîne, mais on peut se l’approprier et mieux percevoir sa propre contribution. »
Philippe Mettens conclut: « Pour moi, la mission d’un président ne se limite pas uniquement à exécuter la politique de son ministre. Elle est aussi d’éclairer l’autorité publique, d’être force de proposition sur base de données fiables, validées et documentées. Pour apparaître en tant que foyer de création et revendiquer une certaine émancipation, il convient au préalable d’être crédible, tant sur le fond que sur la forme. Des projets tels que l’obtention du label ISO 9001 ou une gestion très professionnelle de son capital humain contribuent à cette crédibilité. Ils renforcent la fierté qu’a le fonctionnaire de travailler pour l’institution et démontrent à l’autorité publique que celle-ci fonctionne bien. »
De la visibilité
Si beaucoup de chemin a déjà été parcouru, notamment grâce aux efforts du Selor, il reste un gros travail à réaliser en matière d’attractivité de la fonction publique et, surtout, de notoriété de certaines de ses composantes, souligne Philippe Mettens. « C’est notamment le cas de la Politique scientifique fédérale. Nos métiers sont extrêmement diversifiés. Les chantiers que nous menons et les défis à relever sont passionnants. On peut faire une très belle carrière chez nous. Tout ça ne se sait pas assez. Dès que nous faisons des efforts de communication ou qu’un projet – tel notre récent déménagement dans nos nouveaux bureaux – nous apporte de la visibilité, nous en récoltons les fruits presque immédiatement. » Or, l’institution a de beaux atouts à faire valoir, au-delà des différentes directions qui la composent. Ainsi, à elle seule, la Politique scientifique fédérale représente 37% de l’ensemble du budget public belge en matière de recherche. Et elle est pionnière à bien des égards. Dès 1996, la Politique scientifique s’est par exemple engagée dans un Plan d’appui scientifique au développement durable et, en 2003, dans un projet de management environnemental. Trois ans plus tard, elle obtenait l’enregistrement EMAS (Environmental Management Audit and Scheme). Autre exemple: cet été, la Politique scientifique fédérale a été le premier S.P.F. à recevoir le label de qualité ISO 9001. Il vient démontrer que les compétences attribuées au fédéral en matière de politique scientifique sont gérées avec tout le sérieux qui s’impose. « Rien ne nous obligeait à nous inscrire dans une telle démarche, conclut-il. Mais c’est une façon de nous remettre en question, d’apporter un regard neuf sur nos activités et de nous inscrire dans une démarche d’amélioration continue, une dynamique de progrès. C’est important à la fois vis-à-vis de l’autorité et vis-à-vis de nos fonctionnaires ainsi que des personnes pouvant être amenées à nous rejoindre. » |