Vivre ensemble – et par extension donc, travailler ensemble – est-il devenu plus difficile qu’auparavant? C’était tellement mieux avant, entend-on régulièrement… Les sphères privées et professionnelles étaient bien séparées. Nous n’étions pas inquiets sur l’état de nos ressources naturelles. Notre relation au travail ne souffrait pas d’interrogations existentielles permanentes portant sur le sens, la motivation, la quête d’inspiration… Tout était si simple alors. Vraiment?
Nous ne le pensons pas et ce n’est pas juste une question d’état d’esprit. Ce n’est pas uniquement notre rapport au monde, optimiste ou pessimiste, qui détermine notre avis. C’est avant tout notre rapport aux autres. Et notre capacité à croire que rien ne peut finalement entraver la volonté de celles et ceux qui agissent pour que le monde du travail s’améliore chaque jour un peu plus. Comment y arriver ?
Pour certains, il faut revenir à ce que nous avons connu et qui ressemble à une sorte de paradis perdu. Et pourtant, nos parents, ainsi que certains d’entre nous au début de nos carrières prometteuses, ne se considèrent pas comme des privilégiés qui auraient connu un âge d’or. Ils sourient même lorsqu’ils nous entendent râler alors que nous jouissons d’un confort et d’une qualité de vie inédits. Ils sont là pour nous dire que ce n’était pas mieux avant. Voici trois idées pour nous aider à convaincre celles et ceux qui n’y croient pas encore.
Liberté totale (parfois un peu trop désinhibée)…
Pour commencer, nous n’avons jamais été aussi libres! La façon d’organiser notre temps de travail, l’éventail des possibilités quant au lieu de travail, les modalités de conciliation des priorités privées avec les objectifs professionnels, les opportunités de partager son opinion et de contribuer au projet collectif… Nous atteignons des sommets d’inventivité sur l’ensemble de ces sujets.
Pour la grande majorité des travailleurs, la liberté d’action et d’expression est quasi illimitée. Parfois même, à un point extrême avec les risques associés de dérives… (apprenons donc à préserver le respect et la courtoisie en toutes circonstances).
Cette liberté vise à laisser l’espace au potentiel de création et d’innovation de chacun.e. Elle nous autorise à challenger positivement toutes les pratiques anciennes et dépassées. Seule condition : assumer les risques d’erreur voire d’échec, c’est là qu’un leadership mature revêt toute son importance.
De superbes progrès technologiques dont nous n’utilisons qu’une part limitée du potentiel.
Évitons ici d’ajouter quelques lignes supplémentaires aux débats incessants sur la révolution en cours et l’impact bouleversant de l’Intelligence Artificielle.
Le constat à partager ici est le suivant : nos progrès technologiques améliorent les conditions de travail, réduisent la pénibilité, poussent la productivité vers de nouveaux sommets… Les moyens dont nous disposons pour remplir nos missions sont souvent remarquables non seulement dans le confort ouaté des bureaux mais aussi sur les lignes de production et d’approvisionnement dans nos entrepôts.
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles nous n’en tirons pas vraiment parti. Au-delà de la résistance au changement (plutôt facile à dépasser selon nous), c’est sans doute notre façon de retarder autant que possible la disparition de tâches devenues inutiles et d’essayer de préserver des jobs obsolètes.
Il est bon de rappeler que le progrès technologique sans démarche parallèle de réinvention de nous-mêmes, cela ne fonctionne pas.
Reconnaître et accepter les inégalités, le meilleur moyen de commencer à y remédier
Et s’il devait y avoir une ombre au tableau de nos évolutions récentes, ce serait celle des inégalités qui se creusent sur le marché du travail comme dans nos sociétés en général. Cela reste le point (très) faible de la vision libertarienne qui pilote la plupart des transformations en cours. Il y a un côté ‘marche ou crève’ plutôt détestable, que nous pouvons compenser en introduisant le ‘care’ et le collectif dans toutes nos réflexions et nos démarches.
Un point d’attention donc pour celles et ceux qui décident d’embrasser sans réserve et sans nostalgie les avantages de notre monde actuel : nous ne pouvons décemment jamais tomber dans l’indifférence vis-à-vis de celles et ceux qui souffrent.
En cela, l’intérêt général ressemble terriblement à un projet d’entreprise quelconque. Ce n’est pas une idée qui s’impose naturellement à tous sur le simple bon sens. Cela reste in fine la somme de petites volontés individuelles qui se rejoignent et constituent de temps en temps une force motrice inégalable.
Jean-Paul Erhard