Je suis rentré dans mon premier comité de direction de manière régulière il y a 15 ans désormais. C’était dans une usine pétrochimique de la région du Centre (ce qui veut dire, fanfare et cotillons tous les deux ans au moment de renégocier les CCT…).
Je ne repense pas tellement au contenu des projets que nous avons menés à l’époque mais bien à la superbe brochette de mâles dominants qui composaient le codir à l’époque (eh oui, pas une minette à l’horizon…). Lequel d’entre nous se trouve encore à bord de ce codir aujourd’hui? No one.
Et le hasard a voulu, il y a peu, que je m’attable un soir dans un restaurant aclot où se tenait un repas du personnel de cette même usine guillerette… Au fil des minutes, alors que les ex-collègues se succédaient pour me taper la bise et évoquer un souvenir finalement terrible (20 kilos de plus et un déplacement stratégique de pilosité à assumer !), j’en arrivais à me dire que les travailleurs, les produits, les installations n’ont pas fondamentalement changé. Le Codir a quant à lui été renouvelé totalement à trois reprises au cours des 20 dernières années. Et la boîte vit toujours, plutôt bien même !
De quoi continuer à travailler l’humilité des uns et des autres mais surtout à s’interroger sur ce qu’un directeur/manager/leader peut véritablement apporter à son organisation ?
”Quand l’oeuvre des meilleurs chefs est achevée, le peuple dit : c’est nous qui avons fait ça”… Ce coquin de Lao Tseu, à l’instar de ses collègues philosophes de la Chine ancestrale, nous a légué quelques leçons de management pour l’éternité.
Ce sont sans doute la vanité et… la pression des résultats qui poussent les managers à entreprendre une refonte fondamentale de la stratégie à chaque fois qu’ils rejoignent une nouvelle équipe ou une nouvelle organisation. Est-ce bien cela qui est attendu ?
Dans le modèle du manager proche du super-héros/héroïne, la réponse est indubitablement oui! Mais ce modèle fait-il encore du sens ? Indubitablement, non !
La confrontation au temps nous donne la vérité : nous ne sommes que de passage et l’ambition de laisser une trace dans les entreprises par lesquelles nous transitons est vaine, voire déplacée.
Notre rôle consiste – à plus forte raison en tant que People Managers, même si je veux m’adresser ici à tout qui exerce une fonction managériale ! – uniquement à créer l’espace d’expression pour celles et ceux qui acceptent de consacrer une partie significative de leur temps à la réalisation de l’objet social de l’entreprise. Comment procéder ?
Il est clair qu’il faut inverser le paradigme. Nous ne pouvons pas continuer en cultivant au sein des organisations ce foutu déséquilibre dans la répartition des tâches. Même si celui-ci est à l’image de la répartition des richesses du monde global, il va falloir s’atteler à montrer l’exemple et redistribuer les rôles. La concentration des tâches-clés sur un groupe d’élite dans l’organisation est un cancer.
Ce n’est pas de délégation qu’il s’agit si nous voulons résoudre cette question d’équilibre. Ce n’est pas davantage de business partnering dont nous parlons ici. Le Business Partner n’est qu’un valet aux ordres d’un autre directeur conforté dans sa position despotique par la mise à disposition d’un exécutant ès people management.
Il faut inverser la notion de “service” pour que nous mettions les outils, les procédures, les processus et les comités de direction au service des individus qui composent l’entreprise. Cela requiert un sens certain de la vocation. Cela exige que nous comprenions que l’efficacité passe par la capacité à adapter nos modèes et pratiques en vue d’offrir à d’autres les moyens de se réaliser dans les domaines où ils évoluent. Car Lao a dit ceci aussi (et plein d’autres choses) : “celui qui excelle à employer les hommes se met au-dessous d’eux“. Sans doute l’origine de l’élégance et de la discrétion dirons-nous…
Jean-Paul ERHARD
from Peoplesphere mag – n°176 (juillet 2013)