La frugalité dans le processus d’innovation est en train de gagner les grands groupes et est assimilée aujourd’hui à une véritable révolution culturelle. Principe simple : faire mieux avec moins. Présenté de la sorte, cela sonne comme du lean management. Patrick Arnoux explique sur le site du Nouvel économiste les principes de l’innovation frugale, basée entre autres sur la lecture d’un ouvrage de référence en la matière, publié cette année par Navi Radjou et Jaideep Prabhu.
Les auteurs précisent : “Concrètement, ce processus se traduit le plus souvent par une réduction drastique de la complexité et des coûts de la chaîne de réalisation, avec peu de ressources et des solutions épurées, jamais incrémentales mais le plus souvent en rupture”. Sans doute l’un des concepts qui a le plus secoué ces dernières années les belles certitudes des conseils d’administration et comités exécutifs en les obligeant à un changement de paradigme, et surtout à une transformation de la culture maison. Bref, une démarche disruptive réclamant une bonne dose de courage et de détermination.
Avant tout, une révolution culturelle
« Pour obtenir ce résultat, la transformation est culturelle avant d’être économique. En effet, cette invitation à faire “mieux avec moins” est en contradiction avec ce qui a toujours été fait. » explique Patrick Arnoux. « En Occident, on apprend aux ingénieurs R&D à faire avancer la technologie en ajoutant de nouvelles fonctionnalités aux produits existants. Inflation du “toujours plus” à repenser, à contrarier même. Au programme, de l’accueil du rez-de-chaussée à l’étage directorial, une révolution des esprits impliquant l’épure, la simplification, la cristallisation sur l’essentiel, avec en ligne de mire cet unique objectif : faire mieux avec moins. »
Et de poursuivre : « Au cœur de l’économie en mutation et clé de bien des transformations, cette approche économe de ressources séduit un nombre croissant d’entreprises. Même si elle est la promesse assurée de quelques beaux chambardements en management et organisation. Comme le détaille Yves Morieux du Boston Consulting Group : les entreprises actuelles sont devenues si “vertigineusement complexes” qu’elles rendent les employés “malheureux et démotivés”. Conséquence, la productivité reste basse malgré toutes les avancées technologiques. Yves Morieux pense que l’ancienne manière de concevoir une organisation, avec des structures et des procédures, invite les managers à créer toujours plus de structures et de procédures. »
La pratique, inspirée par les économies en voie de développement où elle s’imposait par nécessité, semble marquer la fin du système classique et onéreux de la R&D classique. Patrick Arnoux explique : « L’essor de nouvelles forces de marché (des consommateurs économes et éco-conscients, et des concurrents agiles) met à jour les failles de l’ancien système. Trop cher, trop gourmand en ressources, et surtout trop déconnecté des réalités du marché et des besoins des clients. Le vieux modèle industriel de R&D survit grâce à l’existence de grandes équipes spécialisées travaillant séparément : la R&D, le développement commercial, le marketing et les ventes sont des fonctions différentes qui ont chacune leurs motivations, leur culture et leurs valeurs. Cette configuration inhibe l’innovation efficace. »
Les conditions du marché sont réunies
« Le moteur de l’innovation doit être plus agile, plus réactif et moins cher. Et justement, du côté des organisations comme des consommateurs, un certain nombre de tendances convergent vers ces objectifs. Les planètes sont alignées, en phase avec les exigences de la production durable. Ce qui fait de cette frugalité un modèle vertueux. L’époque actuelle offre une épatante convergence des moyens et une superbe occasion de transformer les mornes contraintes en opportunités. La virtuosité créatrice des start-up, la relocalisation, les facilités de l’imprimante 3D permettant la réalisation de pièces uniques peu coûteuses, la vogue du slow-food, des Amap, la robotisation, les micro-usines tenant dans un container, les plateformes d’échanges mutualisant les bonnes pratiques et les nouveaux usages plus économes, sont autant de leviers pour la bonne cause, cette approche frugale.
La recherche d’authenticité et de simplicité des entreprises et de leurs consommateurs converge étrangement. En outre, d’autres tendances puissantes vont dans le même sens, comme le succès des économies circulaires, de partage ou collaboratives, dont les offres suscitées par les high-tech transforment également les modèles économiques dans ce sens. Le crowdsourcing, technique économique pour récolter les idées des clients et cerner leurs besoins clairs et spécifiques, contribue également à cette nouvelle donne en tordant le cou à ce postulat : les plus innovantes viennent forcément du conseil d’administration et de l’intérieur de l’entreprise. Bref, un ensemble de facilités se traduisant par des offres innovantes comme les Mooc, les SaaS (logiciels loués par abonnement), le cloud computing, les tarifications dynamiques en fonction des flux d’acheteurs et du temps. »
Premiers résultats à l’appui, plusieurs grands groupes (Nestlé, Renault-Nissan,…) ont repensé leur processus d’innovation, se fondant sur une implication de tous dans les principes de frugalité. Résultat : des gains spectaculaires en termes d’efficacité, de vitesse et d’agilité. A méditer donc, même si nos PME ne nous semblent pas fonctionner différemment depuis quelque temps déjà…
Source : LeNouveleconomiste.fr