Fini le temps des lamentations? Combien de fois n’avons-nous pas entendu des responsables RH se plaindre de ne pas être entendus par l’équipe de direction de leur entreprise? Est-ce encore possible aujourd’hui? Ce n’est pas tant la place du facteur humain dans les prises de décision qui va nous intéresser aujourd’hui, mais bien davantage le pouvoir d’influence des RH et les éventuels rapports de force qui peuvent exister au sein du management… Parce que la donne a changé! Les responsables et départements RH sont aujourd’hui en première ligne sur tous les sujets. La position est plus stratégique qu’elle ne l’a jamais été. Élément de preuve : le nombre de directeurs généraux nommés récemment et qui viennent en droite ligne des Ressources Humaines est en forte croissance. Même le Vatican vient d’en faire l’éclatante démonstration…
Le nouveau Pape Léon XIV a en effet été présenté comme étant l’ancien DRH du plus petit état du monde. Bravo pour la promotion donc… et merci pour la source d’inspiration. Plus près de nous, il est facile d’observer que bon nombre de président.e.s des comités de direction des Services Publics Fédéraux ont exercé leurs armes à la direction People & Organisation avant d’atteindre le sommet de leurs organisations respectives. Reste à généraliser le mouvement dans les entreprises privées? Possible ou pas de cultiver cette saine ambition?
Pouvoir de persuasion et qualité des arguments
Si le facteur humain a gagné sa place au premier rang des préoccupations des comités de direction, ce n’est pas seulement par conviction humaniste… C’est aussi parce que les enjeux financier et de durabilité sont énormes. Il faut le rappeler.
Toutefois, l’importance des thématiques liées au People Management ne garantit pas que la position des professionnels en la matière soit automatiquement privilégiée… Celle-ci n’est consolidée que lorsque l’on est capable de démontrer une connaissance approfondie de nos semblables (et de ce qui les mobilise) et du monde qui nous abrite. Et d’afficher une capacité à expliquer les fonctionnements individuel et collectif à tou.te.s celles et ceux qui ont besoin de comprendre les ressorts de l’engagement et de la performance. Ce sont les fondations d’une expertise précieuse dont une équipe de management ne peut décidément pas se passer…
Une compétence magique : la capacité à activer le levier humain…
Sociologue, psychologue, (apprenti)-juriste de temps en temps… le professionnel ès RH (ou People Management, selon les préférences) doit offrir une grille de lecture différente et ouvrir de nouveaux possibles au sein d’une équipe. Car le matériau sur lequel il opère – l’humain en l’occurrence – est toujours capable de repousser ses limites là où les équipements, la technologie, le cash disponible restent des contraintes matérielles.
Valorisons donc cette compétence magique qui consiste à trouver les mots et les conditions qui vont faire en sorte que nos équipes réalisent des miracles. Certains parlent de leadership, d’autres de l’importance de développer un storytelling inspirant… Peu importe. La puissance d’action d’une équipe RH consiste essentiellement à contourner des obstacles à priori insurmontables grâce à l’extrême ‘bonne volonté’ des collègues. C’est tellement simple… et compliqué à la fois (notamment lorsque le casting a été mené en dépit du bon sens).
« Les autres sont forts parce que nous sommes faibles. »
Compte tenu de ce que nous avançons ci-dessus, comment se peut-il encore qu’à certains endroits, les équipes et priorités RH soient reléguées au second plan?
La faute à l’humilité, peut-être… Parce que la devise ‘Bien faire et laisser dire’ figure parmi nos dictons favoris ? Parce que nous savons que le temps long est notre meilleur conseiller alors que le court-termisme est dominant?
Il faut parfois aller à l’encontre de nos instincts profonds. L’élégance et la discrétion qui conviennent dans l’exercice du People Management restent essentiels mais ne suffisent pas toujours pour vérifier que l’entreprise place effectivement les aspects humains au cœur de sa stratégie. C’est pourquoi, même lorsque c’est contre nature, il faut s’affirmer et prendre des positions fortes au sein de nos assemblées. Pas toujours évident mais plus nécessaire encore depuis que nous sommes rentrés, même sans le vouloir, dans l’ère – provisoire, croisons les doigts – de l’autocratie et du retour des mâles dominants.
Dans une équipe de direction comme dans tout collectif, il serait naïf de prétendre que les rapports de force n’existent pas. Lorsque les dépositaires de la stratégie RH se taisent ou ne parviennent pas à faire valoir leurs arguments, ce sont d’autres ‘valeurs’ qui prennent le pas.
Même combat en ce qui concerne la géopolitique et la gouvernance de nos entreprises : les dictateurs s’installent parce que nous les laissons agir. « Les autres sont forts parce que nous sommes faibles… » Avis aux intéressé.e.s: bye bye l’humilité… Il n’est pas question de subir la moindre dérive en ce qui nous concerne.
Jean-Paul ERHARD