Nos entreprises perdent trop de talents alors que le marché du travail en a cruellement besoin. Regardons autour de nous: les interruptions de carrière de plus en plus variées et fréquentes, le nombre de malades de longue durée, les démissions précipitées… Sans compter le taux de désengagement des travailleurs qui reste à un niveau très élevé. Dans le contexte actuel de pénurie, cela mérite bien de chercher à comprendre pourquoi nos organisations brûlent les talents comme s’il y en avait à chaque coin de rue. Les us et coutumes de notre société de consommation n’expliquent pas tout. Que nous manque-t-il? De l’écoute, du bon sens et beaucoup (vraiment beaucoup) de patience…
Mettons-nous d’accord: la guerre des talents est terminée. Et quoi qu’en pensent les éternels chercheurs, personne ne l’a gagnée. La guerre ne laisse de toute façon que des perdants dans les deux camps et dans les cimetières. C’est un terrible gâchis que nous devons bien constater sur le marché de l’emploi : des talents en sommeil, éteints voire détruits en très grand nombre. Deux options: on le déplore ou on agit pour stopper l’hémorragie. Un choix facile. Que se passe-t-il donc entre nos murs et dans nos open spaces ?
Il y a une différence entre les ambitions du management et celles de leurs collaborateurs
Pour commencer, essayons de comprendre que tout le monde n’est pas forcément demandeur d’une promotion ni d’entrer à marche forcée dans une logique de progression de carrière. La manière dont nous projetons souvent nos propres ambitions sur celles de nos collaborateurs peut être dommageable.
La mobilité professionnelle est un formidable outil pour dynamiser nos organisations. Elle n’est toutefois pas obligatoire. Lorsqu’elle est imposée par ce que l’on considère comme un parcours d’évolution ‘normal’, nous prenons un risque sérieux avec un (des) talent(s) qui n’en demandai(en)t pas tant… Ce phénomène de projection de nos aspirations personnelles et professionnelles n’est pas facile à maîtriser car il est ancré dans notre inconscient. Lorsqu’il s’additionne à la peur de décevoir des collègues que nous voulons voir évoluer, il peut rapidement devenir destructeur. Est-ce évitable? Oui, bien sûr à condition de privilégier l’écoute!
Bienvenue en absurdie !
Autre question que se posent les talents en phase d’ascension dans leur carrière: faut-il renoncer au bon sens pour grimper dans la hiérarchie? Lorsque l’on grimpe les échelons, nos organisations deviennent tantôt cruelles, tantôt absurdes. Il semble que le chemin qui mène vers les hautes sphères exige bien des sacrifices, y compris celui qui consiste à renoncer à une forme de raison et de bon sens terrien.
Plus on se rapproche du soleil, plus on adopte des codes qui ne répondent à aucune logique. Et c’est la complexité des décisions à prendre qui justifie cela ? Non. Ce sont des priorités parasites – citons la gestion des egos susceptibles, sans surprise, le manque d’anticipation et la multiplication des conflits d’intérêts entre autres – qui donnent parfois à nos entreprises un air de fête foraine où tout peut arriver. Il y a de quoi prendre ses jambes à son cou, tout simplement pour préserver sa santé mentale. Les talents mal préparés peinent à franchir cet écueil et perdent leurs dernières illusions au fil de leurs promotions.
Ne jamais arrêter d’apprendre…
Il est bon de se rappeler enfin que le développement personnel demeure un des premiers leviers de motivation, quelle que soit la ‘génération’ à laquelle on appartient. Or, nous pouvons constater que bon nombre de profils – dont les seniors en général – sont écartés du cœur des activités qui préfigurent l’avenir de leur entreprise. Pourquoi? Ils n’auraient pas les compétences requises et/ou n’auraient pas le ‘logiciel’ pour les acquérir… A l’instant même où l’organisation décrète qu’elle n’investit plus dans le développement de certains profils, elle donne le coup d’envoi d’un processus de désengagement quasi immédiat.
Évitons par ailleurs de rejeter toute la responsabilité de l’apprentissage et du maintien de l’employabilité sur nos collaborateurs. C’est à la fois hypocrite et trompeur. C’est un trajet sur lequel employé et employeur doivent décider de s’engager ensemble. Et ce trajet ne s’arrête jamais.
Il n’est pas question d’être dans l’auto-flagellation, ni dans la déprime. Tous les constats d’erreurs que nous pouvons poser ensemble en matière de gestion inopportune des talents reposent sur une seule et même idée : le réservoir est inépuisable. Et donc, malgré nos tentatives parfois malheureuses, le potentiel au sein de nos entreprises reste incroyable.
La réalité du terrain nous montre qu’un talent immobile, c’est un talent perdu…La mission, au cas où vous l’acceptez, consiste à faciliter les mouvements volontaires de ces talents, engagés dans leur propre quête d’épanouissement. Avec de l’écoute, du bon sens et de la patience (beaucoup de patience).
Jean-Paul Erhard