Lors de nos échanges quotidiens avec les éminents responsables du People Management dans nos entreprises, nul ne remet en cause l’importance de la Data dans la plupart des disciplines RH : recrutement, formation, planification des effectifs, santé et bien-être, suivi de la performance,… Tous les processus liés aux dimensions People et Organisation sont en mutation pour s’appuyer désormais sur la puissance des données afin d’alimenter la prise de décision. C’est tout simplement indispensable.
Et pourtant, il y a encore des états d’âme et surtout beaucoup d’inconfort vis-à-vis de ce que nous appelons l’ère de la Data RH. Zéro question sur le principe : bien sûr, il faut s’y engager de manière forte. Mais il faut aussi veiller à ne pas y aller sans avoir, au préalable, des convictions humanistes solides. Lesquelles?
L’anticipation, c’est la règle de base en matière de gestion.
C’est une petite musique à laquelle nous sommes habitués : le lot de celles et ceux qui ‘s’occupent’ de People Management consiste à courir derrière… Avec forcément, la désagréable sensation d’avoir toujours un temps de retard. La Data RH permet de répondre à ce constat récurrent, en nous donnant les éléments qui permettent de comprendre les attentes et les comportements.
Dans l’idéal, elle nous aide à sortir d’une position où nous subissons les tensions qui s’exercent sur les individus et sur les équipes pour entrer dans une logique d’anticipation.
Bien sûr, pour y arriver, nous devons développer notre capacité à structurer le flux massif des données – le risque de submersion n’est jamais loin à force de vouloir mesurer ce qui n’a pas d’intérêt ! – et à utiliser ces informations avec l’intelligence qui nous caractérise dans les bons jours.
La Data n’est pas nécessairement la vérité
Ce que nous pouvons trouver dans la Data RH, ce sont des ‘patterns’. Ce qui veut dire? Évitons de tomber dans le piège du déterminisme. Les données permettent d’identifier des tendances et de comprendre la dynamique de nos organisations. Elles mettent en évidence l’impact de nos actions là où il était de coutume de penser que l’humain reste une science parfaitement inexacte.
Utiliser la Data RH comme un juge de paix, qui tranche dans les situations compliquées, n’est pas la meilleure option. Dans une logique prédictive, elle permet de déceler une problématique. Elle ne suffit toutefois à comprendre les raisons pour lesquelles nos collègues agissent de telle ou telle manière.
Sans la compléter par l’échange et concertation, elle peut même s’avérer dangereuse. Comprenons donc que les données – en matière de People Management comme ailleurs – ne sont jamais la conclusion. Elles alimentent le débat. Elles ne le clôturent pas. Elles ouvrent la dialogue. Elles ne le terminent pas.
Choisir entre le DRH augmenté et le DRH Sapiens Sapiens?
L’innovation technologique représente un challenge énorme pour les People Managers et ce n’est pas dû à une quelconque aversion de principe vis-à-vis des plateformes ou des outils. L’innovation nous contraint à revoir et définir nos priorités sur le plan éthique et sur celui de la responsabilité en tant qu’employeur. Illustration récente: l’exemple de l’Intelligence Artificielle qui va nous amener tôt ou tard à choisir les tâches réservées à l’humain et celles qui seront sous-traitées aux agents virtuels. La question de la Data RH n’échappe pas à la règle.
De quel humanisme parlons-nous donc pour faire face à ce défi? Celui de l’être augmenté qui inspire la stratégie des GAFAM? Ou celui d’un bon vieux Sapiens Sapiens qui essaye tant bien que mal de ne pas se laisser dévorer par ses propres découvertes?
Associer la data RH avec nos convictions humanistes consiste au fond à retrouver le sens de l’anticipation et à reprendre la maîtrise du flux d’information. L’approche est très simple.
Comment répondre à celles et ceux qui attirent notre attention sur les risques de déshumanisation d’une gestion People basée sur la Data et nous rappellent que ‘’derrière la Data, il y a des gens’’.
Nous voulons leur dire que ‘’devant ou avant la Data (et non derrière), il y a des gens !’’
Nous n’oublions pour quelles raisons les entreprises et leurs collaborateurs comptent sur nous. Nous sommes là pour les servir, avec la Data comme avec tous les autres moyens que notre créativité sans limite pourra envisager.
Jean-Paul Erhard