Le harcèlement ascendant : quand le ‘pouvoir’ bascule et le manager devient la cible à éliminer. (1/2)

Harceler son supérieur hiérarchique semble difficilement concevable. Peu de recherches scientifiques sont consacrées à ce que l’on appelle le harcèlement ascendant alors que le nombre de cas est significatif. Connaître l’existence de cette réalité permet aux entreprises et institutions d’avoir une action préventive pour éviter les conséquences parfois tragiques sur les managers devenus victimes.

Depuis des années, le harcèlement moral ou sexuel au travail est reconnu du grand public et des tribunaux. Il a fait l’objet de nombreuses recherches et les lois se sont adaptées pour identifier et sanctionner cette réalité. Nous avions supposé qu’il existait deux formes de harcèlement : celui qui émane d’un supérieur hiérarchique envers un subalterne et celui qui sévit entre collègues. L’image du patron abusant de ses employés fait office de stéréotype. De même la représentation de ceux qui empoisonnent la vie d’un ou plusieurs collègues est bien connue.

Toutefois, une autre configuration plus sournoise fait son entrée sur la scène du travail. Encore peu révélé mais tout aussi pernicieux, le harcèlement vertical ascendant vise le supérieur hiérarchique et est exercé par une personne dans une position subalterne. Peu de recherches ont été consacrées à cette forme de harcèlement parce qu’elle est difficilement concevable à la fois pour les victimes et pour la hiérarchie. Le fait d’avoir autorité sur quelqu’un semblait ne pas pouvoir être compatible avec le fait d’en être victime. Pourtant, depuis décembre 2011, la Cour de cassation en France a déclaré que le « fait que la personne poursuivie soit le subordonné de la victime est indifférent à la caractérisation de l’infraction ». Le harcèlement ascendant est désormais reconnu en justice au même titre que les autres formes de harcèlement.

Un phénomène nouveau ?

La première recherche qui a permis de mettre en lumière le harcèlement ascendant a été réalisée dans le contexte de l’armée américaine en 1997. Elle décrit comment les subordonnés déployaient des comportements harcelants par rapport à leur supérieure hiérarchique, les hommes prenant pour cible des femmes qui avaient autorité sur eux. Les hommes ont estimé que la position hiérarchique de ces femmes avait été obtenue par des procédés contestables dont l’usage de la séduction sexuelle. Ils ont alors déployé des stratégies de résistance pour faire barrage à l’autorité des femmes. Des comportements passifs agressifs tels que l’insubordination, le refus d’effectuer des tâches, des retards systématiques, des menaces larvées, la propagation de rumeurs, des sabotages, des manœuvres de contrôle, ont été utilisés pour déstabiliser la cible en minant son autorité.

Ces manœuvres finissent à la longue par atteindre émotionnellement la victime en lui faisant perdre confiance en ses capacités professionnelles. Elle peut se trouver alors dans l’incapacité d’assumer son rôle. Les recherches ont également démontré que les femmes au sein de l’armée ne souhaitaient pas porter plainte ni en parler à leurs supérieurs, pensant que cela serait perçu comme un signe d’incapacité à assumer leur position d’autorité. De peur de paraitre incompétentes et faibles ou que cela puisse avoir une incidence sur leur évolution professionnelle, elles ont préféré garder le silence.
La majeure partie de ces découvertes reste d’actualité et ne s’applique pas qu’aux femmes cibles de harcèlement ascendant. Ces constatations valent également dès qu’il y a du harcèlement moral ascendant, que la cible soit un homme ou une femme. Il n’y a pas de variations substantielles liées au genre.

Quelles cibles pour quels motifs ?

Les managers et les superviseurs (ndlr : typiquement, ce que nous appelons le ‘middle management’) sont le plus souvent les cibles du harcèlement ascendant. La faible distance hiérarchique entre l’employé et son supérieur est un facteur propice. Une gestion axée sur le bien-être et au développement personnel peut également devenir un contexte favorable à l’apparition du phénomène si des limites ne sont pas instaurées pour définir ce qui est acceptable ou ne l’est pas.

Les cibles sont aussi ceux et celles qui travaillent beaucoup et sont particulièrement performants, énergiques et scrupuleux. Le harcèlement ascendant vise à dégrader sciemment leurs conditions de travail par jalousie et malveillance. D’autres motifs tels que la compétition ou la vengeance face à une frustration ou une action qui a déplu, ainsi que des luttes politiques, ont pu être identifiés.

N’importe qui n’est pas harceleur. Il faut un certain profil de personnalité pour s’engager dans ce type de comportement de manière répétitive. Il semble bien que l’enjeu latent de ces motifs s’apparente à une lutte de pouvoir qui passe par la destruction de l’autre.*(voir deuxième article à paraître). Le but est clairement un reversement du pouvoir et la destruction de la cible.

Un véritable syndrome de stress post traumatique

Patrons ou managers ne sont pas forcément en mesure de mieux résister aux attaques incisives et récurrentes inhérentes au harcèlement. Les symptômes peuvent varier des maux de tête et insomnies à des manifestations plus sévères comme la dépression, des troubles du comportement alimentaire, des idéations suicidaires voire des suicides.

Nous retrouvons avec une grande régularité la rumination mentale, une appréhension anxieuse de l’environnement, honte et culpabilité, un sentiment d’impuissance et d’échec, une perte de confiance. Une symptomatologie physique se manifeste le plus souvent par des troubles du sommeil, de l’appétit, de la concentration, de la mémoire, des lombalgies, des problèmes gastriques etc. La santé dans son ensemble peut être plus ou moins gravement atteinte et le risque que la cible quitte l’entreprise est élevé.
Peu de cas ont été répertoriés jusqu’ici étant donné le peu de reconnaissance de ce phénomène et la grande hésitation des victimes à en parler. Une analyse de nos dossiers d’enquêtes pour harcèlement moral au travail (un échantillon dont la représentativité peut être discutée puisqu’il se compose de cas complexes en majorité) montre que 38 % des cas relèvent de harcèlement ascendant. Le harcèlement ascendant existe dans des proportions bien plus importantes que ce que nous pouvions attendre. Ces faits restent actuellement traités de façon anecdotique. Ils sont confondus avec des comportements inadéquats liés à des frustrations, avec des conflit inter-personnels ou avec une mauvaise attitude au travail…

 

Danièle Zucker
Docteur en Psychologie Clinique, enquêtrice et analyste du comportement criminel – Co-fondatrice HER (Harcèlement , Enquêtes, Recommandations)

* A suivre : Harcèlement ascendant : les stratégies déployées et les réactions adéquates

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