Inquiétude, colère, ras-le-bol… Les manifestations se multiplient. Elles débordent les ‘organisations’ classiques que l’on appelle les corps intermédiaires (syndicats, associations représentatives, partis politiques…) pour prendre la forme de mouvements dits citoyens. Elles voudraient nous convaincre que notre modèle économique est malade. Nous craignons que cela ne soit un peu plus embêtant que cela.
Les mouvements de contestation illustrent la montée des inquiétudes dans notre société. Les historiens analyseront et trouveront sans aucun doute des clés de lecture dans les événements qui ont jalonné les décennies précédentes pour mieux comprendre la dynamique actuelle.
Les observateurs quant à eux relèvent dès à présent que la grogne sociale vient désormais de travailleurs de la classe moyenne, jadis plutôt silencieux. Ils étaient en effet mieux lotis que bon nombre de concitoyens éloignés du monde du travail et souvent totalement résignés. Pourquoi s’expriment-ils aujourd’hui avec parfois une violence inouïe ? Il faut comprendre en quoi nos entreprises pourraient prendre leur part de responsabilités et envisager de possibles remèdes.
Trois nouvelles catégories de travailleurs ?
Le modèle économique que nous avons majoritairement choisi n’est pas malade. Il performe. Quoi que l’on en dise, il génère de la croissance. Cependant, ses dommages collatéraux sont beaucoup plus nombreux et impactants que nous ne les avions imaginés.
Ce modèle a créé de nouvelles catégories de travailleurs qui ne peuvent plus croire au travail ! Qui sont-ils ? Nous parlons des travailleurs pauvres, des travailleurs errants et des travailleurs inconnus.
En tout premier lieu, que certains de nos collaborateurs qui rejoignent chaque matin les installations de leurs employeurs et en sortent le soir ne parviennent pas à joindre les deux bouts n’est pas supportable. La prise en compte du coût de la vie – et dans certains cas, il peut être nécessaire d’offrir un accompagnement en matière de bonne gestion d’un budget familial – n’est pas toujours bien intégrée dans certaines politiques de rémunération. A corriger et vite ! La simple juxtaposition des termes ‘travailleurs’ et ‘pauvres’ ne peut exister.
Ensuite, peut-on accepter aujourd’hui la situation pénible des travailleurs errants ? Nous pourrions aussi les appeler les travailleurs sans objectifs fixés. Ce sont véritablement des SDF bel et bien présents dans les murs de nos organisations. Ce sont celles et ceux – parmi lesquels, je le crains, un nombre très significatif de seniors – qui sont laissés à l’abandon, sans management, sans mission, sans objectif… en attendant que cela se termine.
Et enfin, nous avons les travailleurs/soldats inconnus. Définition? Ce sont les collègues qui ne sont pas reconnus dans leur job actuel. Nous retrouvons dans leurs rangs, entre autres, celles et ceux à qui nous laisserions entendre qu’elles/ils occupent des jobs à la con ou des fonctions prochainement dévolues à l’intelligence artificielle d’un robot qui ne râle jamais…
Ces trois catégories de travailleurs, pas si nouvelles que cela au fond, manifestent leur mécontentement face à la situation actuelle. Mais ce qui nous semble plus préoccupant encore, c’est l’effondrement du moteur principal de toute motivation, à savoir la conviction d’avancer, même doucement, vers un futur synonyme d’amélioration du quotidien.
Que faire alors, à part reconstruire au prix d’efforts importants quelques perspectives futures qui peuvent susciter de l’espoir ?
Nous devons, à titre individuel comme au sein des collectifs que nous animons, nous efforcer de donner aux autres le meilleur de nous-mêmes. Car, même si le modèle macro nous déçoit, nous pouvons à notre petite échelle recréer de l’enthousiasme en offrant à autrui de très bonnes raisons d’y croire. Encore.
Jean-Paul Erhard