Le phénomène du détachement temporaire provoque de nouveaux schémas de migration et de mobilité.

Sur le marché unique européen du travail, le détachement temporaire de travailleurs d’un État membre dans un autre devient de plus en plus important. Le nombre de travailleurs détachés et de prestataires de services indépendants en Belgique a, par exemple, doublé en dix ans pour atteindre 230.000 personnes en 2018. Dans une contribution au rapport La migration en chiffres et en droits 2019 des chercheurs de l’Universiteit Antwerpen exposent la diversité du phénomène, ses origines et ses évolutions rapides.

Cette contribution souligne l’importance du détachement temporaire et des services en tant que forme de mobilité de la main-d’œuvre sur le marché unique européen du travail. Le détachement est principalement abordé dans le débat social et dans les médias dans le cadre de la lutte contre la fraude et le dumping social. L’attention (négative) accordée au détachement ne permet cependant pas toujours de mettre suffisamment en lumière la diversité et les évolutions rapides du phénomène.

Par détachement, nous entendons l’envoi temporaire de travailleurs employés dans un État membre de l’UE vers un autre État membre de l’UE pour y exécuter un contrat de service, et ce dans le contexte de la libre circulation des services. Les détachements et les prestations de services reflètent une forme de mobilité de la main-d’œuvre dans laquelle le lien avec le pays d’accueil est moins fort. Il n’y a pas de contrat de travail avec un employeur en Belgique, mais il existe un contrat de détachement (ou un simple contrat pour la réalisation d’une mission spécifique). En principe, le détachement est temporaire et – dans la pratique – le plus souvent de courte durée, mais cela n’empêche qu’il peut être de longue durée. Cependant, il n’y a aucune perspective de résidence permanente pour le travailleur. Les cotisations sociales pour le travailleur ne sont pas payées en Belgique, mais dans le pays où l’employeur est établi et actif.

Les auteurs démontrent que le détachement joue un rôle de plus en plus important dans les différents flux de mobilité en Europe. Même si une libre circulation plus permanente des personnes a toujours été le fer de lance de la pensée traditionnelle sur la mobilité, le détachement dépasse progressivement la libre circulation.

Les personnes détachées ont aussi des origines nationales plus diverses qu’on ne le pense généralement. Les données pour la Belgique montrent qu’un nombre croissant de ressortissants de pays tiers sont mobiles en Europe en tant que travailleurs détachés ou indépendants. Les ressortissants de pays tiers sont généralement associés à la forme « traditionnelle » de migration de main-d’œuvre, basée sur une autorisation au travail et un permis de séjour (depuis le 1er janvier un permis unique). Mais l’évolution de la jurisprudence européenne a entrainé une augmentation des entrées de ressortissants de pays tiers par le canal des prestations de services à l’intérieur de l’UE via le détachement.

La Belgique, portrait de flux de mobilité de plus en plus diversifiés

La « mobilité » en Europe est principalement associée à la migration permanente d’un État membre vers un autre, et ce sur la base de la libre circulation de personnes. La libre circulation des travailleurs, qui est l’une des quatre libertés consacrées par le Traité de Rome (1957), est activement réglementée et promue depuis les années 1960, avec, entre autres, des dispositions complexes pour coordonner la sécurité sociale des travailleurs mobiles. En effet, ils étaient considérés comme la force motrice d’un marché du travail européen unifié. Toutefois, les chiffres montrent que cette mobilité intracommunautaire permanente des travailleurs reste un phénomène très modeste, y compris pour la Belgique. Selon les statistiques d’EUROSTAT sur la population et les migrations, en 2017, environ 600.000 citoyens de l’UE en âge de travailler vivaient en Belgique, soit 9% de la population active totale (stock). L’afflux annuel de citoyens de l’UE en Belgique en 2017 était d’environ 47.000, soit 0,7% de la population totale en âge de travailler (flow). De plus, ces chiffres sont restés très stables entre 2009 et 2017.

Les niveaux plutôt modestes et stables de la mobilité permanente contrastent fortement avec l’afflux croissant de travailleurs détachés et indépendants en Belgique. Les chiffres reflètent une augmentation forte et régulière du nombre de détachés : alors qu’en 2008, environ 115.000 salariés détachés et prestataires de services indépendants étaient enregistrés, ce chiffre a progressivement augmenté pour atteindre environ 230.000 détachés en 201853. La mobilité permanente fondée sur la libre circulation des personnes est de plus en plus complétée et même dépassée par des flux de mobilité très circulaires et plus temporaires fondés sur la libre circulation des services.

Sur les 230.000 détachés en 2018, 117.000 (51%) sont des citoyens des États membres de l’UE-15 (principalement des Pays-Bas, de France, du Portugal et d’Allemagne). Environ 55.000 (24%) sont citoyens des États membres de l’UE-10 (principalement de Pologne) et 29.000 (12%) viennent des États membres de l’UE-3 (principalement de Roumanie)55. Toutefois, la part des travailleurs détachés des pays de l’UE-10 et de l’UE-3 augmente fortement avec le temps, passant de 24% en 2008 à 37% en 2018. Et ce, principalement au détriment de la part de détachés de l’UE-15.

Origines nationales diverses

Outre le fait que le détachement représente une part croissante de la mobilité européenne, il est également important d’attirer l’attention sur la diversité grandissante des origines nationales des travailleurs détachés. De plus en plus de ressortissants de pays tiers sont détachés librement par leur employeur, situé dans un pays membre, dans toute l’UE sur la base de la libre circulation des services. En 2018, LIMOSA a enregistré 28.000 ressortissants de pays tiers, dont 20.000 (72%) ont été détachés en Belgique depuis d’autres États membres de l’UE, c’est-à-dire sans permis de travail belge.

Le régime de mobilité des ressortissants de pays tiers détachés à l’intérieur de l’UE est utilisé par de nombreuses nationalités (environ 200 nationalités différentes). Pour avoir une meilleure idée de qui utilise principalement ce régime de mobilité, nous nous focalisons sur les 6 nationalités les plus détachées en Belgique depuis d’autres États membres de l’UE au cours de la période 2008-2018. Le top 6 se compose des Ukrainiens, des Turcs, des Bosniaques, des Brésiliens, des Kosovars et des Marocains. Tout d’abord, pour tous les groupes (à l’exception des Turcs), nous constatons une nette augmentation du nombre d’individus détachés au cours de la période d’observation. La Pologne est le pays détachant le plus important pour les détachés ukrainiens, sachant par ailleurs que ceux-ci sont également envoyés depuis des entreprises portugaises et lituaniennes. Les travailleurs détachés bosniaques et kosovars sont principalement détachés par des entreprises slovènes. Les Turcs sont principalement détachés d’Allemagne et des Pays-Bas, tandis que les Brésiliens sont principalement envoyés depuis le Portugal. Enfin, les Marocains sont pour leur part détachés depuis des entreprises françaises, hollandaises, espagnoles et italiennes.

Les chiffres montrent que la migration classique de main-d’œuvre, où un travailleur étranger vient en Belgique pour travailler sur la base d’un permis de travail et d’une carte professionnelle, est de plus en plus complétée et même dépassée par des flux de mobilité très circulaires et temporaires, sous forme de détachement. Toutefois, il est particulièrement important de nuancer cette comparaison, précisément en raison de la nature temporaire et se reproduisant souvent et donc circulaire du détachement. L’autorisation de travail (assortie d’un permis de travail) (dans le cadre du règlement qui était en vigueur jusque fin 2018) offre un droit de séjour permanent d’un an, qui est généralement utilisé. Ce n’est pas le cas du détachement : ces personnes viennent (souvent plus d’une fois) pour des périodes de service plus courtes.

Le secteur principal est incontestablement celui de la construction, et ce pour toutes les nationalités. La construction est suivie du transport, de la métallurgie, de l’entretien des installations électriques, de la pétrochimie et de la viande. L’importance relative des « secteurs à risque » (transport, viande et construction) diffère en fonction des différentes nationalités. Parmi les ressortissants de pays tiers envoyés depuis des entreprises d’États membres de l’UE-28, 50% travaillent dans le secteur de la construction, 15% dans le secteur des transports, 7% dans le secteur de la métallurgie et 3% dans l’entretien des installations électriques. Cela montre que le profil des ressortissants de pays tiers à l’intérieur de l’UE est très différent de celui des ressortissants de pays tiers venant travailler en Belgique sous le couvert d’un permis de travail. En effet, les permis de travail couvrent principalement des catégories d’exception (personnes hautement qualifiées et cadres).

Le détachement est un phénomène diversifié qui se produit au sein de l’UE-15 et de l’UE-28. L’analyse des chiffres indique un nombre croissant de ressortissants de pays tiers qui sont détachés en Belgique en provenance d’autres États membres de l’UE, sans conditions d’autorisation supplémentaires. Le profil des détachés est très différent du profil des travailleurs qui travaillent en Belgique sur base de la migration de travail traditionnelle (avec une autorisation au travail et depuis récemment, avec un
permis combiné). C’est particulièrement vrai pour les ressortissants de pays tiers détachés depuis une entreprise d’un État membre de l’UE-28. Les ressortissants de pays tiers qui entrent sur le territoire avec un permis de travail belge sont soumis à une enquête sur le marché de l’emploi ou doivent relever d’une catégorie d’exception (par exemple, être hautement qualifiés). Les ressortissants de pays tiers détachés d’autres pays de l’UE ne sont pas tenus de se soumettre à une étude du marché de l’emploi, à une condition de revenu ou à une exigence de diplôme.

Source: Myria – ‘Détachement en Belgique – portrait de nouveaux modèles migratoires et de mobilité’, par Dries Lens – chercheur doctorant Centre de politique sociale Universiteit Antwerpen – et Ninke Mussche
Chercheur postdoctoral Centre de politique sociale Universiteit Antwerpen.

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