La bienveillance est sans doute le terme le plus galvaudé des années 20 dans la sphère du (people) management. L’encadrement doit porter des valeurs positives (heureusement !) et surtout les incarner à la perfection, sans véritable droit à l’erreur. Dans la pratique, cela donne des collaborateurs fatigués et à l’affût du moindre faux pas de leurs managers (et vice versa) d’un côté… Et de l’autre, des dirigeants anesthésiés dans leurs capacités de donner du feedback négatif quand c’est nécessaire ainsi que dans leur volonté d’intervenir de manière intrusive lorsque l’un.e d’entre nous va mal. Au final, nous obtenons l’effet contraire à celui souhaité initialement : le management dit ‘bienveillant’ provoque plus de silences que de véritables dialogues. Comment agir pour venir en aide à nos collègues?
Sur le terrain, à force de rencontrer des individus littéralement détruits par leur vécu récent – et manifestement incapables d’exercer un boulot quelconque pour le moment -, nous devons bien constater qu’il nous manque quelque chose. Et nous voyons aussi que cela touche aujourd’hui tous les niveaux dans l’organisation.
Un management de ligne déficient ?
En cause, pour une bonne partie des cas de décrochage personnel et professionnel que nous connaissons : une relation compliquée voire conflictuelle avec le management direct. C’est une réalité qui nous renvoie d’ailleurs à notre édito de la semaine dernière évoquant la multiplication des conflits.
Ce n’est pas étonnant que les points de vue du travailleur et de son responsable hiérarchique soient de plus en plus difficiles à concilier. Ce qui est impossible à accepter toutefois, c’est que ce désaccord puisse mener à l’isolement du travailleur en souffrance, jusqu’à son éloignement vis-à-vis de l’organisation parfois. L’expression d’une vulnérabilité devrait pouvoir ouvrir le dialogue et non le fermer. C’est en effet lorsque l’on ne se parle plus que les (gros) ennuis commencent.
Apprendre à gérer le principe d’entraide collective
Les émotions ne nous aident certainement pas à faire le premier pas. Il faut avant tout être capable de les maîtriser, puis trouver les mots justes pour les partager avec celles et ceux qui sont en capacité de nous aider.
Ensuite, du point de vue du manager, celui ou celle qui ne parvient pas à répondre au mal-être d’un.e des membres de son équipe devrait idéalement pouvoir se tourner vers un pair. Cela implique dans un premier temps de reconnaître l’échec de ses propositions de collaboration et dans un second temps de ‘s’exposer’ au grand jour en laissant apparaître les difficultés vécues par ses collaborateurs directs.
C’est rarement le cas. Question d’orgueil et de préjugés.
Ce qui nous frappe en rédigeant ces quelques mots, c’est le constat récurrent de l’absence des RH et People Managers dans nombre de situations individuelles problématiques. Or, ce sont nos communautés qui ont pour mission d’installer durablement le principe simple qui consiste à faire front et à rester ensemble lorsque l’un des nôtres est en difficulté. Il s’agit donc non seulement de se rendre disponible mais aussi de veiller à ce que l’ensemble de l’organisation soit sensible à la situation de ceux qui sont sur le point de craquer. Cette responsabilité, comme beaucoup d’autres, doit absolument être partagée.
Répondre au mal-être par la proximité
Le bon sens terrien (et une des fondations de l’homéopathie) nous invite à soigner le mal par le mal. Pourtant, que faisons-nous lorsque l’un.e d’entre nous est en souffrance au travail, notamment lorsque les interactions avec la ligne hiérarchique ou avec les collègues sont bloquées? Il ou elle est écarté.e. Nous pensons que le mal-être vécu par les travailleurs devrait pouvoir se gérer par des relations de proximité. A minima, garder le lien est essentiel.
Aujourd’hui, un trouble chronique tel que le mal de dos se soigne par le mouvement et non par l’adoption prolongée de la position horizontale. C’est la même approche en ce qui concerne l’épuisement professionnel et les incompatibilités relationnelles. Nous pouvons les guérir en intensifiant les échanges au lieu de nous imposer l’éloignement, en cultivant des principes basiques tels que la proximité et le soutien.
Les moyens d’agir sont plutôt simples. Leur mise en application ne l’est pas autant. A un point tel que nous entendons une petite musique qui monte parmi les dirigeants et managers dépités et dépositaires de la performance de leurs organisations… Celle-ci sonne comme suit: et si nous devions accepter que certains de nos collaborateurs puissent prendre le temps de souffler et de se reconstruire tout en étant physiquement présents et rémunérés par l’entreprise? Et si nous devions accepter de temps à autre la perte de productivité.
C’est peut-être le prix à payer afin de préserver une connexion réelle et un dialogue sincère avec les personnes abîmées par leur travail, et ce n’est pas en soi une affaire de bienveillance. Il y a des principes de comportement bien plus nécessaires pour y parvenir. A commencer, par exemple, par une exigence mutuelle de vérité. Une condition sine qua non pour que le dialogue puisse se poursuivre.
Jean-Paul Erhard