Moral, physique, sexuel,… Le harcèlement est présent dans nos entreprises. C’est sans doute difficile à accepter du point de vue du dirigeant mais c’est la dure réalité. Bien sûr, ce n’est pas une situation généralisée mais un cas, un seul, dans quelque organisation que ce soit, suffit pour nous mettre face à nos manquements. Aujourd’hui, la libération de la parole touche directement le monde de l’entreprise. Un plateau de cinéma, un club de sports, une assemblée parlementaire… : ce sont des lieux de travail. Elle nous force à reconnaître que nos organisations n’échappent pas aux situations glauques qui attentent à l’intégrité mentale et physique de personnes soumises à la domination d’un.e autre… Comment allons-nous en sortir?
Nous pensons souvent que rien n’a changé. Ces situations troublantes et problématiques existaient déjà. Des comportements inappropriés étaient considérés comme normaux et restaient dès lors sans réaction. Ce qui a changé, c’est l’évolution vers une transparence totale, radicale et crue. La ‘seule’ différence, c’est que le silence a été remplacé par la multiplication des révélations. Dans nos entreprises comme dans les média où chaque personne bénéficiant d’une renommée quelconque – et du ‘pouvoir qui l’accompagne – est susceptible d’être exp(l)osée au moindre écart.
La revanche des opprimés ?
L’enjeu principal de ce débat, c’est le refus définitif des relations de domination. Clairement, dans nos entreprises, cela va devenir compliqué de s’entendre dans la mesure où la plupart des réflexions tournent autour de la notion de leadership… Bien sûr, les modèles se transforment pour se tourner vers davantage de participation et de collaboration. Cela veut dire que les profils ‘faibles’ sont désormais protégés? Certainement pas. Au-delà des mots qui tentent d’expliquer comment nous devrions travailler ensemble, il y a encore des dynamiques et des comportements humains qui confondent responsabilité hiérarchique et pouvoir absolu.
Le monde du travail avance en effet au rythme des prises de décision. A chaque fois, il y a un pouvoir qui s’exerce. Les dérives sont probables et mêmes prévisibles. Seules notre attention constante vis-à-vis des abus de pouvoir et notre capacité à les prévenir peuvent nous aider à garantir la sécurité de tous.
L’entreprise, le bon endroit pour ‘apprendre’ le courage et l’élégance ?
Nous avons sans aucun doute besoin d’une nouvelle éducation managériale… Sauf à vouloir jouer les pompiers en permanence, il est nécessaire de bosser dur en amont pour que les ‘dominants’ (comprendre : celles et ceux qui portent le poids des décisions) adoptent les comportements adéquats. Est-ce dans l’entreprise que nous allons enseigner à nos collègues des principes de base tels que l’élégance, la délicatesse, la vigilance, le courage…? Peut-être pas.
Nous pouvons toutefois proposer une expérience collective qui incarne cet état d’esprit et qui repose sur l’exemple. Cela tient de la discipline qui s’impose à un athlète de haut niveau. Une exigence quotidienne qui nous remplit autant qu’elle nous épuise. Lorsque celle-ci est appliquée de façon cohérente, dans la durée et à divers endroits dans nos organisations, elle génère une réelle sensation de bien-être tellement nécessaire.
Comment éviter les blocages à répétition ?
Pendant ce temps, nous gérons des recrutements, des promotions, des (non-)revalorisations salariales, des mobilités professionnelles, des procédures d’évaluation… Toutes ces décisions peuvent-elles être remises en cause par celles ou ceux qui s’estiment victimes de comportements odieux ? Oui. Le risque de bloquer toute forme d’initiative est-il réel ? Oui.
Vers quoi allons-nous? L’hyper-règlementation sans doute. C’est notre réflexe habituel face aux dérives constatées dans le quotidien de notre vie commune… Nous créons de nouvelles règles (dernier exemple en date : la loi visant à protéger les lanceurs d’alerte) dont la plupart restent inapplicables. Nous devons malgré tout veiller à protéger notre liberté d’entreprendre et d’agir. Cela passe sans doute par davantage de transparence (oui, plus encore !) ainsi que par des prises de décision plus collectives, mieux étayées et expliquées même lorsque notre instinct nous dit qu’elles sont évidentes.
Ce n’est pas la première fois – ni la dernière – que nous nous aventurons sur un terrain glissant. La question de la libération de la parole nous confronte à un choix plutôt simple au fond. Allons-nous encore tolérer aujourd’hui et demain les relations de domination entre celles et ceux qui travaillent et vivent avec nous? Dès que nous sommes ensemble, les dérives sont prévisibles. De là à affirmer qu’elles sont évitables?
L’enjeu sera de conserver à tout prix notre capacité d’agir (comprendre : sanctionner) lorsque des comportements sont manifestement inacceptables. Et de nous engager sur un long chemin, une transformation profonde qui nous demandera le plus grand effort au monde, à savoir celui qui consiste à mettre le ‘NOUS’ au-dessus du ‘JE’.
Jean-Paul Erhard