Les uns après les autres, quasiment tous les acteurs du digital (Cisco, Oracle, Zoom…) et même les GAFAM licencient massivement. Cela résonne fort parce que dans l’imaginaire collectif, les entreprises dites du numérique ne sont pas confrontées à un volume global d’activités en déclin. Le secteur ne nous semble pas en perte de vitesse. La demande, privée et professionnelle, est colossale. Par contre, le besoin de main d’œuvre semble se réduire un peu plus chaque jour. Et il n’y a pas beaucoup d’états d’âme au sein des états-majors de ces géants aux pieds d’argile: les licenciements secs se multiplient. D’où notre question : qui veut encore bosser dans le secteur digital (et pourquoi)?
Nous sommes au beau milieu d’une vague importante de fermetures et de restructurations. Tous secteurs confondus, les entreprises qui jettent le gant sont nombreuses et ce n’est malheureusement pas une grande surprise. S’il devait y avoir un motif de questionnement, il porterait sans doute sur les moyens grâce auxquels ces entreprises ont réussi à tenir aussi longtemps malgré des activités structurellement déficitaires. Cependant, la transformation numérique est toujours en cours et loin d’être terminée. Comment comprendre que les acteurs du digital se débarrassent d’une partie de leurs effectifs ?
Un cruel manque d’anticipation?
Une des particularités du secteur, c’est la proportion énorme des coûts de personnel dans la structure totale des coûts de ses entreprises. Le secteur numérique est en effet très consommateur de ressources humaines (et dans ce cas, l’appellation est bien adaptée !): pour réussir son entrée et poursuivre sa phase de conquête sur le marché, il faut recruter en masse. Nous voyons donc des organisations qui gonflent très rapidement… Et qui se dégonflent tout aussi vite dès que les contraintes et les premiers revers se présentent. Ce n’est que pure logique puisque les effectifs représentent le centre de coûts le plus important.
Le numérique, c’est l’agilité, le sprint, un rapport immédiat entre l’idée et la mise en œuvre. L’alternance entre les temps forts et les temps faibles s’inscrit de manière assez naturelle dans son histoire. Il faut le savoir : on y rentre souvent pour une durée limitée, et un départ programmé fait partie des hypothèses (très) probables.
Toujours être prêt pour l’auto-destruction
Depuis longtemps déjà, il nous semble important de concevoir les rôles et responsabilités que nous occupons comme autant de ‘passages’, ce qui nous amène à prévoir que nous allons disparaître, tôt ou tard. Il y a peut-être une philosophie désespérée – celle de l’auto-destruction – qui sous-tend cette idée. Nous préférons concevoir cela un signe d’humilité et une manière simple de ne jamais céder à la vanité de celles et ceux qui s’estiment indispensables. Appliqué au management, nous aimons rappeler que le principe du leader ‘biodégradable’ est important puisqu’il nous invite à considérer notre départ comme la première des certitudes.
Au fond, c’est sur ce même principe que repose le secteur du numérique et de l’innovation technologique. Nous voyons trois phases distinctes : il y a le temps du développement, çàd celui dédié à la conception des plateformes et outils qui vont changer nos vies. Il y a le temps de l’adoption, soit celui qui est nécessaire aux utilisateurs pour apprendre et comprendre l’intérêt des nouvelles technologies. Et il y a ensuite le temps de l’appropriation qui vise toujours à l’autonomie des utilisateurs (do it yourself !), en attendant la prochaine révolution… Ce cycle prévoit donc la disparition naturelle des équipes en charge de la phase précédente. Sans surprise.
Des expériences intenses, sans aucun doute
Travailler dans la Tech, c’est une aventure à durée déterminée, ou pour les plus optimistes d’entre nous, une succession d’aventures à durée déterminée. Il est bien sûr possible de choisir le confort ‘pépère’ d’autres secteurs d’activités plus stables ou pérennes, ceux dont nous devrions à priori toujours avoir besoin. Avec un inconvénient possible, à savoir le risque de sombrer parfois dans la routine, voire l’ennui (et accessoirement, d’y être rémunéré de façon clairement moins attractive…).
Participer à la transformation numérique, c’est aujourd’hui contribuer à l’évolution de nos entreprises et de la société en général. Prendre une part active à la facilitation de nos vies quotidiennes et, souvent, à la mise en relation de personnes qui ne se seraient jamais rencontrées par ailleurs ! C’est une expérience intense, qui peut s’avérer brève dans bien des cas.
Pourquoi donc continuer à s’investir dans un secteur qui programme sa propre fin? Personne n’a fondamentalement envie de subir un plan de réorganisation. Et nous aimons le temps long, que nous avons déjà défini comme le luxe ultime que nous pouvons nous offrir aujourd’hui. Comment résoudre cette nouvelle équation? Trouver l’environnement qui offre simultanément un projet palpitant, un impact fort, ainsi que la capacité de se projeter et la sécurité relève de la pure chance. En attendant, à nous de choisir ce qui nous convient ici et maintenant, dans la Tech, le Digital ou ailleurs !
Jean-Paul Erhard