Le Comité Economique et Social Européen vient de publier un avis relatif à l’emploi atypique et aux plateformes coopératives dans le cadre de la transformation numérique des entreprises. Le document livré ci-dessous in extenso vise à démontrer comment la transformation numérique et l’économie de plateforme ont redistribué les cartes. Il pointe également la nécessité pour l’Union européenne de trouver un juste équilibre entre innovation et protection des droits des travailleurs.
Dans le processus de transformation rapide du paysage industriel mondial, la numérisation a exercé une fonction stratégique fondamentale. Elle s’applique désormais à l’ensemble du cycle de la chaîne de valeur des produits et des services, et concerne aussi bien les grandes sociétés que les petites entreprises et les microentreprises. Au cours de ce processus, le besoin de flexibilité et de rapidité d’adaptation conduit souvent à confier certains segments du processus de production à des professionnels extérieurs, qui ont souvent un statut de travailleurs indépendants. Regardons par exemple les programmateurs informatiques, les analystes de données et les développeurs d’applications, ou encore tous les fournisseurs de services auxiliaires: ils forment souvent des mondes très fragmentés.
Si cette diversité présente certainement l’avantage de permettre une grande flexibilité, elle entraîne à elle seule une considérable dispersion des compétences et, souvent, beaucoup de discontinuité.
Dans cette perspective, le fait de favoriser la naissance de nouvelles entreprises regroupant tous ces travailleurs indépendants dans des coopératives pourrait contribuer au développement de nouvelles formes d’activité, et également soutenir le partage des compétences et des connaissances. En outre, et à plus long terme, ce regroupement pourrait non seulement profiter aux professionnels exerçant ces activités, mais aussi proposer au système des grandes entreprises des interlocuteurs fiables et dotés de compétences professionnelles.
La forme juridique de coopérative appliquée à des plateformes numériques pourrait aussi s’avérer efficace pour organiser l’échange et le partage de données entre les agences, lesquelles comptent de plus en plus d’entreprises, et notamment de PME, qui éprouvent des difficultés accrues pour s’attacher les services d’intermédiaires en matière de gestion et d’échange de données. Les PME regroupées pourraient ainsi garder la main sur la gouvernance de ces structures.
Cette idée semble faire référence à l’article 9 de la proposition de règlement du Parlement européen sur la gouvernance européenne des données (acte sur la gouvernance des données), présentée le 25 novembre 2020 par la Commission européenne: «[…] les services de coopérative de données, c’est-à-dire les services qui, d’une part, aident les personnes concernées et les entreprises unipersonnelles, microentreprises, petites et moyennes entreprises qui sont membres de la coopérative ou qui confèrent à celle-ci, avant de donner leur consentement, le pouvoir de négocier, les conditions et modalités du traitement des données, à poser des choix en connaissance de cause avant de donner leur consentement au traitement des données, et, d’autre part, prévoient des mécanismes d’échange de vues sur les finalités et les conditions du traitement des données qui représenteraient le mieux les intérêts des personnes concernées ou des personnes morales.»
Ce phénomène comporte un autre aspect très intéressant, à savoir la possibilité d’encourager la propension à entreprendre des travailleurs atypiques. En effet, au cours de la dernière décennie, le terme d’«emploi atypique», ainsi que tous ses synonymes comme «travail atypique», ont été utilisés si souvent dans les politiques liées à l’emploi qu’ils sont presque devenus la nouvelle norme.
Les grandes transformations qu’a connues le monde économique et professionnel ont désormais effacé la frontière qui séparait salariés et travailleurs indépendants.
L’esprit d’entreprise, les compétences entrepreneuriales et l’auto-entrepreneuriat sont aujourd’hui devenus les leviers fondamentaux de la croissance. Toutefois, mener ses affaires seul n’est pas aisé, encore moins lorsque l’on est jeune. C’est pourquoi il pourrait être intéressant de développer une forme particulière de coopérative qui a commencé à s’établir spontanément, à savoir le regroupement, principalement grâce aux nouvelles technologies, de jeunes travailleurs indépendants au sein de structures de ce type.
Le concept d’emploi atypique a bénéficié d’une attention politique croissante, surtout au cours des dernières décennies.
La mondialisation et les évolutions technologiques ont transformé le monde du travail: l’idée du plein emploi associé à des formes d’emploi ordinaires est détruite, et l’emploi atypique ne cesse de progresser partout dans le monde.
Si l’emploi atypique permet aux entreprises d’utiliser leur main-d’œuvre de manière plus flexible, il représente généralement pour les travailleurs, malgré quelques avantages, une source de précarité professionnelle.
La réglementation du travail et les systèmes de sécurité sociale mis en place sur la base des formes d’emploi ordinaires ne fonctionnent pas correctement pour la plupart des travailleurs atypiques.
Bon nombre des défis soulevés aujourd’hui par l’emploi atypique ont encouragé les coopératives à répondre aux besoins des travailleurs qui ne sont pas couverts par les dispositions institutionnelles actuelles, tout en s’efforçant d’accroître l’épanouissement personnel des travailleurs indépendants en favorisant la participation des travailleurs au capital social.
En Europe, de nombreuses coopératives ont été organisées par des indépendants, tels que des agriculteurs, des détaillants, des membres de professions libérales et des artisans.
De nouveaux modèles de coopérative ont récemment émergé en réponse à l’augmentation importante des nouvelles formes de travail, en particulier pour les travailleurs indépendants.
Ces nouvelles structures peuvent être un excellent instrument pour encourager une plus large diffusion des capacités des entreprises, en aidant les jeunes à relever les défis inhérents à la création d’une nouvelle entreprise. Grâce aux nouvelles technologies, en particulier, certaines formes de la nouvelle économie, telle que l’économie dite des plateformes, pourraient trouver dans l’outil coopératif un moyen de faire en sorte que de nombreux travailleurs indépendants deviennent aussi propriétaires de ces plateformes, et évitent par conséquent certaines dérives que d’aucuns qualifient d’«ubérisation».
De nouveaux types de modèles commerciaux, principalement basés sur les plateformes en ligne, attirent depuis peu une attention particulière. Il existe diverses dénominations pour désigner la nouvelle économie qui se développe autour de ces modèles: économie du partage, économie à la demande, économie collaborative, économie de pair à pair, économie de l’accès ou encore économie participative.
Le travail et l’emploi dans cette nouvelle économie reposent également sur le statut d’indépendant et sont souvent associés à la précarité. Les plateformes coopératives ne font pas seulement référence à des coopératives utilisant des plateformes en ligne, mais elles constituent, plus globalement, un mouvement orienté vers la propriété collective des services numériques.
L’idée de base des plateformes coopératives est claire: les nouveaux modèles économiques basés sur l’internet et les plateformes en ligne peuvent être associés au modèle coopératif en confiant la propriété et le pouvoir de contrôle à ceux qui utilisent et travaillent via ces plateformes en ligne. Par conséquent, sur la base d’expériences concrètes, nous pouvons envisager plusieurs scénarios possibles dans lesquels ces formes innovantes d’entreprises peuvent répondre aux problèmes relatifs au travail et à l’emploi dans l’économie des plateformes.
Avec cet avis d’initiative, je pourrais attirer l’attention des institutions européennes sur les bonnes pratiques innovantes qui voient actuellement le jour et favoriser ainsi la diffusion d’une approche européenne et participative pour le développement de l’économie des plateformes ainsi que la participation active, en particulier des jeunes travailleurs indépendants, à la mise en œuvre d’une numérisation plus inclusive de l’économie.
Source : CESE