Besoin de mobiliser les équipes pour réussir notre projet de transformation ou de changement. Le dilemme essentiel est le suivant: vitesse ou préparation? Patience ou agilité? Et malgré tout, nous décidons souvent de lancer une nouvelle initiative alors que les équipes ne sont pas encore correctement préparées ni même informées. Nous savons que cela va nous coûter cher de travailler sur l’adhésion à posteriori et que le temps que nous pensons avoir ‘gagné’ en amont devra finalement être consacré à réparer les dégâts causés sur la motivation, la confiance et la bonne volonté des collègues… Mais nous y allons quand-même, la fleur au fusil en quelque sorte. Quelle est cette force mystérieuse qui nous pousse souvent à sacrifier le temps de l’alignement ?
Le désordre et le progrès
Faire avancer une organisation dans la confusion, c’est une stratégie comme une autre qui peut s’appuyer d’ailleurs sur un principe de réalité. Nous aimerions que nos organisations soient des cohortes parfaitement symétriques, des armoires bien rangées… alors que nous sommes la plupart du temps face à un joyeux bordel. Chaotique, hétérogène, éparpillé, mobile… C’est éreintant sur le plan mental. Est-il raisonnable de vouloir mettre de l’ordre à tout prix ?
Le pari sur la capacité d’adaptation des équipes soumises à rude épreuve est en effet un bon moyen de provoquer l’innovation. Placer l’organisation en situation d’inconfort permet souvent de changer à la fois les repères et la façon de travailler dans un contexte nouveau. Un nouveau paradigme est possible.
Inconvénient de cette approche, évoqué furtivement ci-dessus : une consommation d’énergies énorme qu’il faut être capable d’absorber, en prévoyant par exemple une période de récupération dans la foulée.
Avancer coûte que coûte
Parlons à présent du ‘momentum’, c’est-à-dire des opportunités qu’il faut saisir, ici et maintenant.
Il y a (au moins) deux écoles. La première consiste à y aller vite et fort (littéralement ‘Fast and Furious’). La seconde vise quant à elle à préparer soigneusement l’odyssée pour faire face au changement en rangs serrés.
Au moment de choisir la meilleure stratégie et de mettre les troupes en mode action, il y a toujours un peu d’appréhension – ‘et si nous faisions fausse route ?’ – et, de temps en temps, un petit manque de courage entrepreneurial.
Emmener une organisation ou une équipe dans notre sillage, c’est une sacrée responsabilité qui n’est par ailleurs jamais garantie de succès. Le moment peut être enivrant… ou paralysant. Cela dépend autant du caractère de chacun.e que de notre environnement.
C’est dans ces moments-là que la dynamique de mouvement prend le pas sur la qualité de la préparation. Au fond, ce qui compte, c’est d’y aller. Et pour le reste… Inchallah.
‘Tu souris, tu acquiesces et à la fin, tu fais de toute façon comme tu en as envie…’
Enfin, si nous ne consacrons pas le temps nécessaire à l’alignement, c’est aussi parce que c’est un mythe… Une chimère ou un doux rêve, comme vous préférez.
Il n’est sans doute pas nécessaire de revenir une fois encore sur les problématiques d’egos qui doivent s’exprimer dans nos entreprises, à quelque niveau que ce soit. Cela reste d’ailleurs la principale difficulté rencontrée au sein de nos comités de direction et autres instances de gouvernance.
Mais, au-delà de ces pulsions ego-centrées à satisfaire, nous voyons à quel point il est difficile de ‘récupérer’ la bonne volonté à posteriori des collaborateurs qui considèrent que leurs avis auraient dû être pris en compte et que leur vérité est la seule et l’unique.
A la frustration de ne pas avoir été impliqués au début de ‘l’aventure’ s’ajoute aujourd’hui le rejet d’un référentiel commun et de valeurs partagées. Les principes sur lesquels nous pouvons espérer aujourd’hui engager les équipes sont rares… Très rares.
In fine, cela veut dire que chacun.e fait ce qu’il lui plaît ? C’est effectivement ce qu’il se produit si nous ne consacrons pas notre attention et notre énergie à démontrer toute la pertinence d’avancer ensemble.
Oui, c’est un luxe formidable de pouvoir s’octroyer le temps nécessaire pour s’assurer que tout le monde est à bord, que les objectifs et la méthode sont partagés et que les revers éventuels seront assumés et affrontés ensemble avec une certaine sérénité. Il faut pouvoir se faire plaisir de temps en temps et s’offrir ce temps précieux. Pour soi et aussi voire surtout pour celles et ceux qui nous entourent. Car – comme nous aimons le rappeler -, le plaisir le plus délicat consiste à faire celui d’autrui.
Jean-Paul Erhard