Bien sûr, notre titre est à la fois provocant et caricatural, une fois n’est pas coutume. Mais pas que… L’augmentation du nombre de travailleurs indépendants et le cumul des statuts figurent parmi les principales transformations du marché du travail. L’alignement de la protection sociale entre employés et indépendants contribuent peut-être à cette évolution. Face aux pénuries de main d’oeuvre, toutes les entreprises doivent s’ouvrir désormais à cette option en matière de recrutement. C’est même devenu un impératif, notamment pour gagner en flexibilité. Mais nous pouvons aller un pas plus loin et réfléchir ensemble: et si le recrutement de travailleurs indépendants, au-delà d’être nécessaire pour remplir les effectifs, était tout simplement stratégique puisque c’est dans ce vivier que se trouvent les meilleurs talents?

Ecouter, comprendre, prévoir… Regardons ensemble comment nos départements RH se positionnent par rapport aux travailleurs qui ont fait le choix de prendre en main leur propre destinée. Et regardons aussi comment ces derniers appréhendent la collaboration avec un marché du travail dont on peut dire qu’il est à la fois cruel et truffé d’opportunités.

Un ennemi invisible dans la guerre des talents

Le marché de l’emploi est une jungle, aujourd’hui encore très concurrentielle. Les employeurs se tirent la bourre pour détecter les pépites et se dérober tour à tour les top profils. Il y a des secteurs attractifs, des entreprises irrésistibles, des carrières formidables… Mais aussi des licenciements douloureux, des restructurations difficiles et des conditions de travail pas toujours évidentes à accepter. La réalité vécue n’est pas toujours en adéquation avec le discours des premiers jours. En ce qui concerne la guerre des talents, le principal concurrent des employeurs qui ne peuvent plus tenir des engagements à long terme, c’est l’entrepreneuriat. Le choix du statut Freelance n’est plus aussi effrayant qu’il a pu l’être jadis. Et il offre une garantie d’une valeur inestimable aux yeux de nos jeunes et moins jeunes pousses: celle de la liberté, ou à tout le moins d’un rapport plus distancié à l’autorité qui leur permet de prononcer le F… word lorsque cela s’impose. Précieux.

Un passage dicté par le réalisme économique

Ce que nous constatons également, c’est l’érosion voire la disparition de certaines valeurs refuges qui ont longtemps dicté le comportement d’un bon nombre de travailleurs. Lesquelles?
Le sens de l’état,par exemple, c’est du passé. Les grands commis de l’état constituent une race en voie de disparition. Que ce soit pour exercer un mandat politique ou pour développer une carrière dans la fonction publique, la pression qui pèse sur les représentants de l’Etat aujourd’hui est détestable. La faute à qui? Ce n’est pas le plus important au fond… La suspicion, l’immobilisme, l’absurdité des règles entre autres sont des principes généralisés dans l’opinion et ils s’appliquent sévèrement lorsqu’il s’agit de commenter le travail de celles et ceux qui ont de servir l’Etat.
La fidélité et la loyauté vis-à-vis d’un employeur important sont également des idées compliquées à défendre. En cause : l’incertitude. Vivre avec l’hypothèse d’une fin de collaboration subite n’est pas donné à tout le monde. Pour ce faire, il faut une grande confiance en soi et dans les multiples options qui peuvent se présenter demain. Il faut être prêt à passer rapidement à autre chose, sans remords ni regret. Comme un indépendant…
La réalité économique de ces dernières années nous rappelle à quel point il est important que chacun.e d’entre nous soit maître de son propre destin.

Devenir indépendant, une évidence pour demain ?

La question est posée depuis plusieurs années déjà, sous l’effet de ce que nous avons appelé l’ubérisation du marché du travail. Serons-nous tous indépendants demain? La réponse reste inchangée actuellement et c’est non! Il y a des avantages et des inconvénients dans les différents statuts, même s’ils tendent à se ressembler chaque jour davantage. Au-delà de la stabilité inhérente au statut de salarié, les formules de flexibilité (théorique) permettent aux employés d’organiser leur travail de façon individualisée et plutôt autonome. Et de l’autre côté, la volonté de fidéliser les talents est telle que les entreprises offrent aux travailleurs indépendants des filets de sécurité qui n’existaient pas forcément auparavant, tout en préservant la notion de liberté qui reste fondamentale. Les statuts sont donc de plus en plus proches… et aussi de plus en plus compatibles.

L’évolution en cours et sur laquelle nous pouvons miser avec confiance passe par l’hybridation. C’est en effet le cumul des statuts de salarié et de freelance qui progresse à grande vitesse et qui gagnera de nouveaux aficionados au cours des prochains mois et prochaines années. Cela ne devrait surprendre aucun DRH au final: les meilleurs talents ont tout intérêt à avoir un statut d’indépendant afin de monétiser leurs compétences et de diversifier leurs missions. Ce qui est en jeu, c’est d’une part leur liberté d’action et de mouvement, et d’autre part, la possibilité d’apprendre auprès de plusieurs employeurs simultanément pour enrichir leurs pratiques. Pas de quoi donc leur adresser le moindre reproche…

Jean-Paul Erhard