La crise de la pension légale est une réalité. A l’issue du Pension Survey 2018, la société Aon veut mettre en garde : « Les Belges ne semblent pas avoir conscience que le deuxième pilier est désormais absolument nécessaire pour conserver leur niveau de vie une fois qu’ils ont pris leur retraite. Il y a longtemps que la pension complémentaire n’est plus un « petit extra ». Elle est plutôt une nécessité. »
La société de conseil Aon réalise tous les quatre ans une enquête sur les plans de pension complémentaire (assurances-groupes et fonds de pension) de 300.000 travailleurs belges répartis dans 210 entreprises et 13 secteurs. Il s’agit en d’autres termes non seulement de l’enquête la plus vaste sur les plans de pension complémentaire.
Il ressort du Pension Survey 2018 qu’un travailleur percevant un salaire moyen épargne quelque 188€ par mois grâce au plan de pension complémentaire de l’employeur, presque toujours via une assurance-groupe[1]. Chaque année, les employeurs cotisent 2260€ pour la pension complémentaire d’un travailleur. Et les travailleurs eux-mêmes cotisent en moyenne 381€ par an.
Lorsqu’il atteint l’âge de la pension, ce versement représente un capital de quelque 130.000 euros, soit un montant mensuel supplémentaire de 326 euros. Les pensions complémentaires sont actuellement sous pression, notamment parce que les taux d’intérêt restent bas sur les marchés financiers. Et il faut également compter avec d’importantes disparités entre statuts (ouvrier, employé, cadre), entre secteurs et même entre entreprises.
Un supplément de pension de 326 euros par mois
Ce système représente en fin de carrière une poire pour la soif non négligeable : en moyenne, 2,5 fois le dernier salaire annuel (130.000€ au total), soit un supplément de pension de 326 euros par mois[2]. Nous le voyons, le deuxième pilier de pension fournit aux pensionnés une contribution cruciale en termes de niveau de vie.
Calcul : un supplément de 14% du dernier salaire net grâce au plan de pension
Un employé touchant un salaire moyen recevrait en 2017 une pension légale de 1.656€ nets, soit 71% de son dernier salaire net.Avec une pension complémentaire, il recevrait 326 euros nets par mois en plus. Le travailleur obtient ainsi un taux de remplacement de 84% de son dernier salaire net.
Colette de Dessus les Moustier, Expert Advisor Pensions: « Une pension complémentaire via l’employeur – une « assurance-groupe » en langage courant – n’est plus un luxe depuis longtemps. Elle est devenue progressivement un passage obligé pour conserver un revenu décent après l’âge de la pension. Qui plus est, la pension complémentaire est aussi un des moyens les plus intéressants, fiscalement parlant, de se constituer un capital ». En moyenne, la pension légale d’un employé ne s’élève qu’à 71% de son dernier salaire net. Pour un cadre, ce chiffre plonge même à 52%, c’est-à-dire la moitié du revenu perçu à la veille de la pension.
« Les personnes qui n’ont pas constitué de deuxième pilier s’exposent en d’autres termes à une forte diminution de leur niveau de vie après leur départ à la retraite. La pension légale belge est actuellement une des plus basses d’Europe. »
Il n’empêche, selon Aon, le travailleur belge n’a toujours pas pris conscience du fait que le deuxième pilier représente une partie cruciale du salaire. L’enquête menée par Aon montre que seulement 9% des salariés comprennent la composition précise de leur salaire et les avantages d’une pension complémentaire.
« De toute évidence, les Belges ne comprennent pas la gravité de la crise qui touche le régime de pension, pas plus d’ailleurs que l’intérêt de constituer une pension complémentaire pour conserver leur niveau de vie après leur départ à la retraite. »
Taux d’intérêt bas : la pension complémentaire sous pression
Mais la pension complémentaire se trouve elle-même sous pression, notamment parce que les taux d’intérêt restent bas sur les marchés financiers. Par rapport à il y a quatre ans, tous les statuts perdent du terrain. Cette diminution, exprimée en capital à l’âge de la pension[3], se décompose grosso modo comme suit :
· Cadres : de 4 à 3 années de salaire
· Employés : de 3 à 2,5 années de salaire
· Ouvriers: stable, à environ 2 années de salaire
Colette de Dessus les Moustier: « Les plans de pension semblent prendre la mauvaise direction. Alors que l’espérance de vie augmente, ils se réduisent. » L’origine de ce problème est à rechercher dans le financement des plans de pension. 82% de plans de pension sont financés via la Branche 21 à un taux d’intérêt garanti. Actuellement, la plupart des plans relevant de la Branche 21 offrent un intérêt garanti de seulement 0,25%. Dans le graphique ci-dessous, Aon a procédé à une comparaison de l’évolution de la Branche 21 chez une série d’assureurs belges appartenant au top 10 (AG Insurance, Allianz, AXA, Baloise, Delta Lloyd, Generali, KBC et Vivium).
« Travailleurs et employeurs devront prendre davantage de risques dans les plans de pension pour obtenir du rendement. Les fonds de pension gagnent du terrain. Ils ne sont pas réservés uniquement aux grandes entreprises. De petites entreprises peuvent par exemple rejoindre le« Fonds de pension Aon United Pensions », qui réunit de multiples employeurs, afin de bénéficier d’avantages d’échelle. »
Le risque lié au rendement repose de plus en plus souvent sur le travailleur
Autre constat : le rendement plus faible des plans de pension est supporté de plus en plus souvent par le travailleur, une évolution causée par l’évolution de la structure des plans de pension. En 1996, 70% des plans de pension étaient mis en place avec un objectif financier prédéterminé (« l’objectif à atteindre »). L’employeur garantissait un montant déterminé au terme d’une carrière complète et assumait en d’autres termes le risque lié à des rendements inférieurs aux prévisions.
De nos jours, 83% des plans de pension appartiennent au type « charges fixées », où l’employeur s’engage à verser mensuellement un montant déterminé. L’employeur ne s’engage donc plus à avoir constitué un capital prédéterminé à la fin de la carrière de l’employé. Le risque de rendements faibles s’est déplacé vers le travailleur.
« Cette évolution révèle un changement de mentalité chez les travailleurs et les employeurs. Alors que la pension complémentaire était considérée jadis comme une mesure sociale, elle est désormais perçue avant tout comme une partie de la rémunération. De plus, un travailleur actuel réalise sa carrière professionnelle avec plusieurs employeurs. Du point de vue de l’employeur, un système à charges fixées est donc plus facile à budgétiser et à gérer. »
Selon Aon, le plan de pension « cash balance » offre un juste milieu et un équilibre idéal. Ce plan hybride se situe à mi-chemin entre le plan basé sur « l’objectif à atteindre » et le plan « charges fixées ». Dans ce type de plan, c’est l’employeur lui-même qui détermine le niveau des primes investies et le rendement garanti. Cette formule ne représente encore que 3% des plans de pension, mais cette proportion grandit. Ce système comporte l’avantage que les employeurs, pendant les années de vaches grasses et quand les rendements sont élevés, peuvent se constituer un tampon pour compenser les futures années de vaches maigres ; un avantage supplémentaire au vu la volatilité que connaissent les marchés financiers.
Importantes disparités entre secteurs et statuts
Outre les écarts de recettes entre les plans de pension des cadres, des employés et des ouvriers, il existe également des disparités considérables entre les plans de pension. Pour commencer, il y a la différence entre les travailleurs avec plan de pension complémentaire et ceux qui n’en n’ont pas.
« Nous observons effectivement une augmentation du nombre de travailleurs avec plan de pension : il y a quatre ans, ils étaient 70%. Aujourd’hui, cette proportion est passée à 75%. » Mais il existe aussi des disparités frappantes entre secteurs. Le secteur bancaire et financier offre, comme le secteur de l’assurance, les plans de pension les plus généreux. Le secteur des métaux est en queue de peloton, avec celui de la distribution et de la logistique. Le graphique ci-dessous illustre par secteur la situation médiane du capital de retraite brut des employés. La ligne rouge représente la médiane.
Cadres et employés forment clairement les catégories pour lesquelles les avantages de retraite sont les plus importants. On prévoit moins souvent de plan complémentaire pour les ouvriers et l’impact du futur statut unique est encore flou à ce stade.
Statut unique : timides progrès
La LPC (la loi relative aux pensions complémentaires du 28 avril 2003) établit l’obligation de mettre un terme à la différence de traitement entre ouvriers et employés en matière de pensions complémentaires. Ce statut unique devra être entré en vigueur au plus tard le 1er janvier 2025. Colette de Dessus les Moustier: « Les partenaires sociaux sectoriels n’ont pas encore été en mesure de dégager la moindre trajectoire d’harmonisation. Les employeurs invoquent « l’effet boule de neige » et attendent une initiative sectorielle pour prendre eux-mêmes une quelconque initiative. Cette ligne attentiste ne laissera aux entreprises que deux années pour harmoniser la situation. »
L’étude d’Aon met également en garde contre un autre danger : les autorités, en harmonisant le deuxième pilier, créeront peut-être un nouveau déséquilibre. En vertu de la pension maximale légale, le taux de remplacement de la pension des ouvriers est plus élevé que celui des employés et des cadres. La pension complémentaire comble ce déséquilibre légal et crée un équilibre global, grâce auquel chaque groupe jouit grosso modo d’un taux de remplacement identique. Les autorités, dans le cadre de l’harmonisation, ne se soucient que du deuxième pilier et ne regardent pas l’effet produit globalement sur le premier et le deuxième pilier.
[1] Calculé sur la base d’un employé âgé de 40 ans touchant un salaire brut de 3.650 euros par mois (le salaire moyen du travailleur belge en 2017), sur la base de la cotisation moyenne au plan de pension (4,45 % du salaire brut) et de la cotisation personnelle moyenne (0,75%).
[2] Calculé sur la base d’un salaire brut moyen de 4.072 euros pour un employé âgé de 64 ans.
[3] Calculé sur base de plans médians