Bravo! Félicitons les élus de la capitale européenne pour ce très joli record mondial du nombre de jours sans gouvernement et maintenant, on arrête de plaisanter… Les situations absurdes sont souvent de bonnes sources d’inspiration. C’est le cas ici encore. Le marasme de la région Bruxelles Capitale est riche d’enseignements pour chacun.e d’entre nous et pour le monde du travail. Si nous regardons en arrière, sur les dix dernières années par exemple, qu’avons-nous perdu dans notre quotidien pour atteindre le niveau de déprime qui plombe souvent l’ambiance générale? Tant sur le plan individuel que sur le plan collectif, que nous manque-t-il aujourd’hui pour retrouver – ou conserver dans certains cas – une dynamique positive qui génère un peu d’enthousiasme ?
Toutes les transformations en cours dans nos entreprises insistent sur la nécessité d’acquérir et de développer les soft skills. Celles qui nous permettent d’interagir et de partager. Et l’une d’entre elles est sérieusement menacée par la pensée dominante qui vise à affirmer des pouvoirs forts et à prétendre que toute pensée différente est par principe un mensonge. De quelle compétence s’agit-il?
De notre aptitude à faire des compromis et à passer des accords qui dépassent chacun de nos intérêts particuliers. Ne serait-il pas temps de la replacer au sommet de la liste des qualités attendues pour l’ensemble de nos collaborateurs?
Leadership et passage en force : efficace et frustrant
Nous assistons à l’émergence des pouvoirs forts et à l’affirmation ressuscitée des mâles alpha et de quelques amazones hyperdominantes, revigorés par la nonchalance des autres… Ce type de leadership offre bien quelques avantages: rythme et puissance, avant tout. Et contrairement à ce que l’on prétend parfois, le pouvoir fort est fondé sur une vraie logique, et non sur des émotions brutales. Il se construit sur des raisonnements simples, assez binaires.
Quant aux inconvénients ? Les effets destructeurs sont considérés comme secondaires et la frustration de celles et ceux qui ne sont pas convaincus (euphémisme) va tôt ou tard se muer en opposition féroce. Un leadership dopé à la testostérone donne lui-même naissance à des réactions virulentes. Tout cela manque terriblement de nuances… Les compromis deviennent des rêves inaccessibles. Et pendant ce temps, la masse silencieuse (et majoritaire) assiste à un spectacle épuisant. Bref, l’approche manque clairement de durabilité, ce dont elle se soucie peu d’ailleurs.
La concertation sociale est en phase terminale.
Principale illustration de notre déclin dans l’art du compromis se trouve certainement sur le terrain de la négociation entre partenaires sociaux. Les accords entre patronat et syndicats sont rares, voire sur un nombre de sujets en nette augmentation carrément impossibles. L’absence d’accord interprofessionnel devient la norme. Les parties renvoient la patata chaude vers le gouvernement qui ne fait que des mécontents. Chacune porte ses propres revendications, argumente, négocie… Mais il n’y a pas d’atterrissage. Le constat est affligeant et s’installe petit à petit au niveau local également, là où des personnes animées par le bon sens terrien arrivaient encore à conclure des deals profitant au plus grand nombre. Bref, la concertation sociale est en train de mourir.
Tout cela se déroule dans une sorte de mollesse, proche de l’indifférence générale. Pourquoi ?
Le mot d’ordre général est simple : ‘agree to disagree’. Vivre avec le désaccord. Paradoxal. Instable. Fatigant aussi.
Considérer que nous continuons à travailler et que nous avançons sans compromis entre celles et ceux qui fixent le cadre, cela revient à accepter de vivre avec la charge mentale du désaccord. Cela veut dire que cela peut s’arrêter à chaque instant. Une absence totale de certitude et de perspective.
Un compromis, c’est une victoire et un soulagement bienvenu
Il serait utile de modifier notre perception de ce qu’est le compromis, au fond. Dans la plupart de cas, nous y voyons des concessions douloureuses et une forme plus ou moins consentie de renoncement. Pas très glorieux, en effet. Pourtant, le compromis n’est pas un signal de faiblesse mais bien au contraire, un acte courageux et décisif qui vise à réduire la charge mentale de celles et ceux qui nous entourent en leur offrant un cadre rassurant et une atmosphère apaisée. Il y a beaucoup de valeur dans la volonté de se rapprocher et d’affirmer l’alignement des priorités.
Pouvons-nous donc retrouver l’excellence que le monde entier nous a reconnu dans notre capacité à réaliser des accords mutuels? Ce n’est pas de la nostalgie, mais plutôt un retour aux sources du bon sens et à des qualités intrinsèques indispensables pour travailler ensemble. Car s’il devait en effet y avoir une formule magique pour définir la recette du compromis : 50% d’écoute, 25% de créativité et 25% de loyauté. Des ingrédients de base. Beaucoup d’engagement… Et déjà, ça sent bon en cuisine, vous ne trouvez pas ?
Jean-Paul Erhard

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