Comment détecter les bullshit jobs ?

Perte d’utilité d’une fonction, tâches morcelées dans une logique proche du ‘zapping, nouvelle discipline en construction… Il y a de multiples raisons pour lesquelles certains collaborateurs éprouvent le sentiment de remplir un ‘bullshit job’ (traduction libre : un travail à la con?). Le quotidien français Le Monde s’interrogeait cette semaine : les « bullshit jobs » sont-ils le mal du siècle ou seulement une étape dans la mutation du travail ?

Le quotidien entame comme suit : « Qui sait à quoi consacre ses journées un consultant en concertation ? Et un chief of happiness officer (« responsable du bonheur » dans une entreprise) ? Ou encore le manager du management ? Il est facile et tentant de moquer la profusion de ces métiers aux contours mal définis, connus pour distiller une bonne dose d’ennui et parfois une sorte de mal-être. Encore plus tentant de s’en gargariser dans une ère de chômage de masse.
Impossible, pourtant, d’ignorer la progression de ce nouveau « mal » de l’époque, qui gagne de plus en plus de jeunes salariés… »

Un métier impossible à définir en une phrase
Et de préciser encore : « Ces « gens », ce sont ces aimables inconnus qui deviennent soudain inintelligibles quand survient, au détour d’une conversation, la question : « Tu fais quoi dans la vie ? » Leur réponse, des tentatives d’explications mâtinées d’anglicismes, eux-mêmes imbriqués dans un langage commercio-managérial, est généralement suivie d’un grand silence. Cet autre, au travail apparemment absurde, n’est pas juste amputé de sa capacité de vulgarisation, il souffre d’un syndrome de plus en plus répandu dans le secteur de l’économie tertiaire : il occupe un emploi dénué de sens. Un job à la con, ou bullshit job, en version originale. »

Le « sens », en tout cas, est singulièrement absent des journées en entreprise, où s’enchaînaient tâches absurdes et réunions ­toutes les quatre heures, sans parler des centaines d’e-mails auxquels il fautt répondre. Des journées dont l’événement le plus important est le déjeuner. Témoignage : « Je ne travaillais que sur des choses dont je ne voyais jamais la fin, j’étais perdu au milieu de la chaîne de production, et j’avais un vrai sentiment de rejet de la part de mes proches quand on me demandait ce que je faisais, je finissais par capituler et dire “tu as raison, je ne comprends même pas ce que je fais”. »

La rédaction du Monde relève encore une bureaucratisation accélérée du monde du travail.

« Jobs à la con car tâches à la con, » assure Béatrice Hibou, directrice de recherche, spécialisée en économie politique au CNRS: « Même nous, les chercheurs, on passe plus de temps à remplir des formulaires, à se conformer à des procédures, à s’envoyer des e-mails dans tous les sens pour prendre des décisions, qu’à vraiment faire de la recherche », regrette-t-elle.
Entre la logique de compétitivité, qui nécessite une évaluation permanente, et celle de sécurité, qui entraîne une explosion des normes, on assiste à une extension du domaine du management, et de son vocabulaire qui s’infiltre partout. « Regardez, maintenant, on parle bien de la “gestion” de ses amis ou de son conjoint, avec des phrases comme “j’ai mal géré untel”, poursuit Béatrice Hibou. On utilise des outils de planification d’entreprise pour notre vie personnelle, comme le Doodle pour organiser une soirée ou un week-end… »

La source probable du ‘bore-out’

Des « bullshit jobs » a découlé un autre phénomène : le « bore-out », des crises d’ennui provoquées par l’absence de sens dans son travail. Un article signé de David Graeber, « Sur le phénomène des jobs à la con », avait conceptualisé les bullshit jobs. « Anthropologue à la London School of Economics, amateur de pantalons en flanelle et de barricades altermondialistes – il est venu à la rencontre des militants de Nuit Debout, à Paris, à la mi-avril, et était l’un des piliers du mouvement Occupy Wall Street –, ce chercheur américain affirmait que les progrès technologiques, loin de réaliser la prophétie de Keynes, qui imaginait l’avènement d’une semaine limitée à quinze heures travaillées, auraient à l’inverse permis l’explosion et la prédominance du secteur administratif. Dans la théorie économique du capitalisme (…), la dernière chose que le marché et l’entreprise sont censés faire, c’est de donner de l’argent à des travailleurs qui ne servent à rien. C’est pourtant bien ce qu’il se passe ! La plupart des gens travaillent efficacement probablement pendant quinze heures par semaine, comme l’avait prédit Keynes, et le reste du temps, ils le passent à critiquer l’organisation, organiser des séminaires de motivation, mettre à jour leurs profils Facebook et télécharger des séries TV. »

Le Monde précise cependant que l’hebdomadaire libéral britannique The Economist a répondu par une charge étayée, rappelant que chaque période a connu ses bullshit jobs, en particulier la révolution industrielle. « Avant l’automatisation des tâches, écrit le journal, le quotidien des ouvriers à la chaîne était « terriblement ennuyeux et déplaisant ». Les emplois administratifs ont désormais supplanté les trois-huit, dès lors, rien de surprenant à ce qu’émerge « l’équivalent de la chaîne de montage au bureau. Les premiers passaient leur temps à assembler les pièces, les seconds trient des papiers, gèrent des détails logistiques, etc. Certes, la dématérialisation peut donner une impression de vacuité (…), puisque l’époque où le minerai de fer se transformait en voitures est révolue. Mais l’idée reste la même ». L’automatisation des emplois administratifs soulagerait peut-être les détenteurs de bullshit jobs, conclut The Economist. Mais il y a peu de chance qu’émerge une nouvelle génération de métiers « passionnants et pleins de sens. (…) Il est assez probable que les jobs à la con dans l’administration ne soient qu’une transition entre les jobs à la con dans l’industrie et pas de job du tout. »

« Le débat reste ouvert. David Graeber le reconnaît lui-même dans son article, son concept de bullshit jobs n’est pas très précis. Rien de plus subjectif que le sens et sa quête. Mais malgré la polémique, sa thèse gagne du terrain et les esprits. Après le bullshit job, un autre néologisme est apparu pour décrire ces supposées crises d’ennui liées à l’absence de sens au travail : le bore-out, par opposition au « burn-out » propre aux excès de travail.
Cette génération de consultants hyperspécialisés et autres chefs de projet a quand même des traits communs : ils ont souvent fait de longues études supérieures et leur crise survient en général au moment de devenir senior à leur poste. Ils déploient alors des trésors d’inventivité pour aller chercher ailleurs un sens qu’ils ne trouvent plus. 

Pour aller vers un job reconnu par la société
Cette période de crise correspond souvent à une réorientation de carrière, pour se diriger notamment vers le secteur non-marchand. « Depuis quelques années, atterrissent sur le bureau des responsables RH du secteur d’excellents CV de ces jeunes diplômés en quête de sens. Ils n’ont jamais été aussi nombreux. Une dirigeante témoigne : « Ma contrôleuse de gestion a exactement ce profil, elle vient du cabinet d’audit KPMG et voulait autre chose que “marge, profit, actionnaire”. Elle a divisé son salaire par deux, mais le sens et le bonheur d’avoir une profession reconnue socialement, qu’elle peut facilement expliquer dans une soirée, ça n’a pas de prix. »

Source: le monde.fr

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