Malgré la distance, nous suivons avec attention les jugements successifs rendus dans le cadre de l’action intentée par des chauffeurs Uber en vue de voir leur statut reconnu en tant que travailleur salarié de l’entreprise de transport personnel. Enjeu de cette action : rien de moins que la survie d’Uber mais aussi un signal à destination du monde entier quant au statut futur des indépendants et auto-entrepreneurs qui oeuvrent aujourd’hui pour les grands acteurs de l’économie de plateforme. Nouvel épisode juridique en ce début du mois de novembre : les tribunaux californiens ont voté pour que les travailleurs d’Uber et des autres plateformes restent indépendants. Explications.
L’Etat a approuvé, mardi 3 novembre, la « Proposition 22 », un référendum pour préserver le modèle de plateformes d’Uber et des autres entreprises de VTC avec des chauffeurs indépendants, déterminant pour la « gig economy » (économie à la tâche). Les électeurs de cet Etat américain ont voté « oui » à 58%, alors que 70% des bulletins avaient été comptés ce mercredi, d’après les chiffres de l’agence Associated Press.
Uber et Lyft, son concurrent américain, refusent d’appliquer la loi de l’Etat, entrée en vigueur en janvier, qui leur impose d’embaucher leurs dizaines de milliers de conducteurs, et donc de leur accorder des avantages sociaux (assurances maladie et chômage, congés payés, heures supplémentaires, etc). A la place, les deux leaders des plateformes de réservation de voitures avec chauffeur (VTC) ont organisé un référendum sur un compromis.
La « Proposition 22 » prévoit que les dizaines de milliers de chauffeurs californiens resteront indépendants mais aussi qu’ils recevront des compensations : un revenu minimum garanti, une contribution à une assurance santé et d’autres assurances, en fonction du nombre d’heures travaillées par semaine.
« Le futur du travail indépendant est mieux assuré désormais, grâce aux nombreux conducteurs comme vous qui se sont fait entendre, et que les électeurs dans tout l’Etat ont écouté », a écrit Dara Khosrowshahi, le patron d’Uber, dans une lettre adressée aux chauffeurs. Il leur précise que son entreprise va revenir vers eux dans les semaines prochaines pour leur expliquer « à quoi s’attendre » et « comment tirer le meilleur parti de ces nouveaux avantages ».
Les marchés réagissent favorable à la nouvelle. L’action Uber a bondi de 16% et Lyft de 19%, selon Markets Insider. A l’heure où nous publions ces lignes (14h30, heure de Paris), l’action Uber est en hausse de 12,26% et Lyft de 16,21% dans le échanges d’avant-Bourse. Les deux groupes basés à San Francisco, et leurs alliés Postmates, DoorDash et Instacart — spécialisés dans la livraison — ont dépensé plus de 200 millions de dollars pour leur campagne, contre moins de 20 millions du côté des opposants, ce qui en fait l’un des référendums les plus chers de l’histoire de l’Etat. Il était suivi de près pour voir si la Californie allait parvenir à dompter la « gig economy ».
La question n’est pas réglée définitivement
L’avènement des VTC s’est accompagné de tensions politiques et sociales partout dans le monde, notamment avec l’industrie des taxis. En Californie, de nombreux élus démocrates et syndicats accusent Uber et ses homologues de chercher à échapper aux lois du travail et de léser leurs chauffeurs. « Nous sommes dévastés par ce résultat injuste », a réagi Erica Mighetto, conductrice Uber depuis quatre ans. « Même si je ne devrais pas être surprise par le fait que des firmes milliardaires puissent acheter des moyens d’échapper aux lois ». Elle faisait campagne depuis des semaines pour le « non » : « Je pense que la plupart des gens voulaient voter en notre faveur. Mais ils ont vu toutes ces pubs pour les convaincre que nous voulons rester indépendants. Alors qu’en réalité, nous n’avons jamais été indépendants ».
Les chauffeurs étaient divisés entre ceux qui voudraient des avantages sociaux comme n’importe quel salariés, faisant valoir que les termes de la relation avec Uber sont de toute façon déterminés par la société, et les adeptes de la flexibilité avant tout, qui veulent pouvoir décider de leurs horaires. La victoire au référendum ne signifie pas nécessairement que le sujet est réglé. Les syndicats « ont choisi de garder leurs fonds pour la prochaine étape : remettre en cause la constitutionnalité de la mesure », observait fin octobre David McCuan, professeur de sciences politiques à l’université de Sonoma.
Uber et Lyft sont déjà engagés dans un bras de fer judiciaire avec la Californie, Etat américain le plus peuplé et le plus riche. Lors d’une audience en octobre, l’avocat d’Uber, Theodore Boutrous, avait fait valoir que la société n’était « pas une entité de recrutement » ni « une entreprise de transports » mais une « plateforme multidimensionnelle qui permet de mettre en contact des passagers et des chauffeurs. » Matthew Goldberg, qui défend l’Etat de Californie et les villes de San Francisco, Los Angeles et San Diego, avait rétorqué que les chauffeurs étaient lésés, car ils ne peuvent actuellement pas prétendre à de nombreuses protections sociales, telles que le salaire minimum, le remboursement des frais professionnels ou le congé familial.
Source: Business Insider – AFP