Editorial – Ainsi donc, le travail n’occuperait plus une place centrale dans nos vies?

Au prix d’un meilleur équilibre vie privée / vie professionnelle, nos collaborateurs revoient régulièrement l’ordre de leurs priorités personnelles. Apparemment, la victime principale de cet exercice aujourd’hui serait leur employeur. Ou plus justement, la nature de leur engagement vis-à-vis de leur job. Le travail n’aurait plus une place centrale dans la vie de nos semblables… Allons droit au but : nous n’y croyons pas un instant.

Même si à l’échelle individuelle, nous voulons prôner une gestion saine et équilibrée de nos multiples centres d’intérêt, nous sommes convaincus que le travail demeure un pilier essentiel de notre épanouissement. Plus encore, il est de plus en plus déterminant dans notre capacité à évoluer et à grandir sereinement dans un environnement fragile et violent à la fois.

Zéro tolérance pour le ‘bullshit’

Oui, le phénomène de rejet du monde du travail existe. Il prend même parfois des formes plutôt originales si on évoque ici les ‘lazy girl jobs’ (traduction libre: jobs de feignasses?) qui pullulent sur TikTok et permettent à de jeunes femmes d’afficher un rapport plutôt distancié à leur emploi. (Nous y reviendrons après ce premier aperçu. Il ne s’agit pas pour autant d’un mouvement d’ampleur.

La principale réalité à laquelle nous devons faire face dans nos entreprises, c’est celle d’un niveau d’exigence inédit dans le chef des travailleurs vis-à-vis de celles et ceux qui les emploient aujourd’hui. Il n’est plus envisageable de se complaire dans l’absurde, d’accepter des situations qui contredisent la mission de base et les principes (ou valeurs) qui organisent le travail collectif.

Les ‘sanctions’ sont impitoyables lorsque l’entreprise ne respecte pas ses engagements plus ou moins formels: en fonction des profils, ce sera soit la contestation, soit le désengagement affiché, soit la rupture définitive. Compréhensible… et vertueux si ce niveau d’exigence permet à nos organisations de monter le curseur en matière de cohérence dans la gestion quotidienne de leurs activités.
Quoi qu’il en soit, ces différentes réactions ne témoignent pas d’un désintérêt vis-à-vis de la sphère professionnelle. Elles expriment au contraire des attentes fortes que nous serions bien inspirés de ne pas décevoir.

Des entreprises bien conscientes de leur impact dans la vie privée de leurs collaborateurs

La confusion existant entre les sphères privée et professionnelle est une évidence. Les cloisons ont sauté, sous l’effet d’une quête de flexibilité portée tantôt par les travailleurs, tantôt par les employeurs.
Avec un double effet vérifié chaque jour à l’occasion d’une vidéo conférence ou d’un simple passage dans un open space: le travail s’est définitivement installé dans la sphère familiale de nos collègues d’une part et les problématiques domestiques et familiales sont gérées depuis le bureau d’autre part.

L’entreprise et, surtout son management, joue un rôle dans la sphère personnelle (privée) de ses collaborateurs. Bien sûr, cela concerne des domaines tels que l’employabilité et le développement personnel, où on n’hésite plus désormais à accompagner les travailleurs dans des projets très personnels. Mais cela touche également des questions aussi sensibles et importantes que l’épargne financière, l’éducation des enfants, la mobilité durable, le bien-être psycho-social…

C’est une question récurrente à laquelle nos départements RH sont confrontés. Est-il raisonnable que l’entreprise (et par son intermédiaire, le travail donc) intervienne chaque jour davantage dans la sphère privée? Faut-il encourager cette évolution lente que certains estiment proche d’une relation de dépendance?
Sans volonté d’esquive, nous pensons qu’il appartient à chaque travailleur de répondre positivement ou pas à cette offre de services qui installe une relation étroite entre les sphères privée et professionnelle. Et nous invitons chacun.e aussi à réfléchir à ce qui suit: si l’entreprise ne se préoccupe pas d’apporter des réponses concrètes aux besoins personnels de ses employés, qui va le faire?

Adhérer à la valeur ’Travail’, ce n’est pas accepter de souffrir pour servir la croissance à tout prix

Enfin, je peux avouer que je suis souvent surpris par notre relation compliquée avec l’introduction des notions de travail ou d’effort dans un de nos exercices préférés au sein d’un comité de direction, à savoir l’élaboration d’un système de valeurs.
Le sentiment dominant qui circule alors auprès du management, c’est celui d’un fossé énorme qui se creuse entre les dominants et les dominés. Demander à nos collaborateurs d’adhérer à la valeur ’Travail’ équivaut à leur demander de vendre leurs âmes au grand capital!

Par ailleurs, il n’est pas rare que l’on pronostique une maladie mentale proche de la démence à celui ou celle qui déclare tout simplement aimer bosser plus de huit heures par jour. Bref. Il faut sérieusement se détendre lorsque nous voulons définir notre relation ‘philosophique’ au travail. Personne n’exige une forme d’asservissement à l’économie comme une fin en soi.

Ce que nombre d’entre nous apprécient dans des principes forts tels que le sens de l’effort ou l’investissement personnel, ce sont des finalités parfois très différentes… La contribution aux ensembles auxquels nous appartenons, le partage (et il faut répéter à l’envi à quel point nous sous-estimons la dimension sociale – au sens relationnel – du travail), la transmission, l’exploration de notre potentiel et de nos limites, et bien d’autres encore… Autant de nobles projets qui devraient nous aider à conforter un rapport positif au travail.

Bien sûr – et sans surprise -, nous voulons défendre la possibilité d’une relation stimulante au travail pour chacun.e. Mais nous savons aussi que nous n’avons pas toutes et tous la chance de bénéficier d’un environnement parfait et d’un encadrement idéal.
Lorsque nous expérimentons la souffrance au travail, dans notre chair ou dans notre esprit, cela devient difficile d’entretenir un rapport positif avec le boulot. Mais, en aucun cas, cela ne veut dire que le travail est accessoire… Au contraire, cela signifie que nous savons à quel point il est décisif dans notre rapport aux autres. Nous vivons avec l’intuition – et pour certains d’entre nous, avec la certitude -, que le travail nous donne la possibilité, de temps à autre, d’offrir aux autres le meilleur de nous-mêmes. Ce serait dommage de les priver de ce cadeau, non?

Jean-Paul Erhard

NB – A lire sans doute sur le sujet: Le Travail, une valeur en voie de disparition -par Dominique MEDA (Editions Flammarion)

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