Les philosophes ont été les premiers à s’emparer de la question. Aujourd’hui, ce sont les politiques qui s’y intéressent. Demain, sera-ce le tour des DRH de s’intéresser au sujet? Le droit à la paresse s’inscrit aujourd’hui à l’agenda des conversations. D’où vient-il? Il est entre autres le fruit de la pandémie avec l’affirmation d’une génération ‘canapé’ qui n’a pas franchement détesté l’expérience du confinement. Ce droit constitue aussi une réponse aux doutes profonds – autrement dit, cette fameuse quête de sens – qui émergent face à la crise économique. Les travailleurs qui revendiqueront ce droit ’nouveau’ vont confronter leurs managers et leurs responsables RH à un sérieux problème: comment intégrer l’appel de la couette aux théories de la motivation qui permettent à nos entreprises de servir leurs clients, leurs bénéficiaires, leurs patients, leurs affiliés… ?
« Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis deux siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l’amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture. » Ce sont les premières lignes de l’ouvrage du penseur et militant socialiste Paul Lafargue en 1880. Il y prônait un retournement de civilisation en réponse à un autre ouvrage paru en 1848 relatif au droit au travail. Le pamphlet se voulait à la fois révolutionnaire et d’anticipation. C’est rien de le dire…
Le droit à la paresse n’est donc pas un concept nouveau. Il prend place au sommet des contradictions qui organisent le monde du travail (déconnexion et digitalisation, individualisation et collectif,…). Au menu de nos comités de direction en général, et de nos départements RH en particulier, un vrai travail de composition afin d’assurer le bon fonctionnement de nos entreprises avec des équipes au sein desquelles doivent cohabiter la quête de performances et l’envie légitimée par la société de se la couleur douce. Trois petites idées pour appréhender le sujet ? Voilà voilà…
Bien-être et paresse, ce n’est pas le même combat.
Il y a encore quelques idées reçues à corriger. Certaines croient peut-être encore que le meilleur moyen de préserver notre santé – et par extension, notre bien-être – consiste à privilégier le repos et la contemplation. Nous savons aujourd’hui que c’est l’activité physique et mentale qui contribue à notre équilibre de vie. Sans verser dans l’addiction, nos corps et âmes sont invités à se mettre en mouvement pour atteindre un bon équilibre. Les recommandations de la médecine du travail en vue de réintégrer les travailleurs absents de longue durée vont d’ailleurs dans ce sens.
Nous pouvons sans risque en déduire que la paresse ne garantit certainement pas le bien-être. Elle ‘semble’ offrir en priorité une forme de tranquillité de l’esprit. En cela, le droit à la paresse affirme l’absence d’ambition, ce qui doit être respectable. C’est aux autres qu’il appartient d’accepter un autre modèle que celui qui a été dominant jusqu’il y a peu. Sommes-nous capables d’intégrer dans notre raisonnement un autre rapport au travail? Définitivement, oui.
Slasheur.se ou paresseux.se?
Derrière la revendication affichée en faveur de la paresse, se cache souvent un profil de ’slasheur’. Il est logique aujourd’hui que chaque collaborateur ait perdu l’envie de mettre tous ses oeufs dans le même panier. L’identité multiple sur le plan professionnel (fruit de l’hybridation) devient-elle la norme? La réponse est positive. Avec quelle implication donc sur le plan du People Management: la problématique centrale revient désormais à devenir (et rester) l’employeur préférentiel, qui n’est pas forcément celui qui contribue le plus à remplir le caddie.
Ainsi, pour déterminer où et quand il convient d’agir, nous devons comprendre si la flemme de nos travailleurs sert à trouver leur bonheur dans l’immobilisme ou si, plus vraisemblablement, elle traduit le besoin d’économiser son énergie afin de l’exploiter dans un autre environnement plus ou moins professionnel. Comment le savoir? Il suffit de demander au final…
Gérer les temps forts
Enfin, la vie quotidienne de nos entreprises est faite de hauts et de bas. De temps forts et de temps faibles. Il y a parfois des moments d’élévation et d’euphorie sur lesquels il faut pouvoir capitaliser. De grandes avancées se produisent lorsque les planètes sont alignées et c’est toute une organisation qui se projette, en mode sprint, vers sa destination. Ces phases sont exaltantes… et rares. Puis, nous avons aussi d’autres moments, où nous sommes invités à accepter que tout s’enchaîne moins vite… C’est précisément à ces instants que nous ressentons tout le poids de cette lassitude qui gagne le monde entier et qui nous empêche de mobiliser les foules. Que faire alors? Attendre? Ou profiter de ces moments pour construire autre chose, comme par exemple, travailler sur la culture ou améliorer les contours de l’organisation. Voire, pourquoi pas, démarrer d’autres projets. Tout le monde a bien le droit d’avoir des identités multiples, non ?
Jean-Paul Erhard