Une réunion du comité de direction est rarement un long fleuve tranquille. Dans la grande majorité des cas, nous en sortons totalement exaltés ou carrément dépités. Il n’y a pas beaucoup de place pour les sentiments mitigés. Parfois, les désaccords voire les conflits entre membres de l’équipe dirigeante apparaissent au grand jour et se diffusent avec un effet dévastateur sur les équipes. Cela peut arriver. Une fois. Deux fois… Trois fois? Bonjour les dégâts… Ce n’est pas une fatalité pour autant. Que manque-t-il donc à nos équipes de dirigeants pour qu’elles puissent gérer ces tensions et inspirer valablement les collaborateurs et mettre tout ce petit monde en mouvement?
Explication. Dans la meilleure des configurations, la rencontre (souvent) hebdomadaire des directrices/directeurs devrait être à la fois une fête de l’esprit et un sérieux coup d’accélérateur pour l’entreprise qu’elles/ils pilotent. Mais ce n’est pas toujours le cas. La conclusion des ‘travaux’ du codir peut aussi être décevante. Pas de décision marquante. Pas de progrès visible. Pas de sensation d’une cohésion qui se construit et se ressent dans les couloirs… Plus grave encore, il nous semble: la difficulté de mettre en application de façon uniforme les résolutions de l’équipe et de faire face ensemble aux interrogations des équipes, d’offrir une réponse cohérente aux demandes diverses et variées et de se soutenir mutuellement dans les initiatives à déployer dans l’organisation puisque chacun fait valoir son point de vue personnel. Cela manque vraiment de discipline et de loyauté… Ce sont des concepts du siècle dernier, il est vrai. Il est toutefois possible de les remettre au goût du jour dans nos entreprises, moyennant quelques petits ajustements à apporter à notre réalité actuelle. Lesquels?
Des egos surdéveloppés pour survivre
Il n’y a pas que des divas dans les sphères de décision de nos entreprises. Il y a forcément aussi des personnes qui sont habitées par le sens du devoir et de la vocation. Reste à comprendre alors ce qui leur prend lorsqu’elles perdent, elles aussi, le sens du service et de la mesure. L’expression de l’ego est disproportionnée au sein de nos instances dirigeantes. Est-ce une question de contexte tout simplement (l’ivresse des sommets)? Ou s’agit-il plutôt de l’adoption d’un comportement qui permet de maintenir sa position en milieu hostile?
La charge en testostérone des comités de direction est trop importante, et ce n’est pas (uniquement) une question de genre. Elle s’auto-alimente malheureusement. C’est la raison pour laquelle il est devenu nécessaire d’y développer des comportements hypertrophiés sur le plan de l’affirmation de soi. Les agneaux sont rapidement dévorés par les loups qui composent la meute. S’adapter ou disparaître. Darwin est dans la place.
Des rotations beaucoup trop rapides
L’autre variable qui met la cohésion d’ensemble à rude épreuve est la vitesse de rotation des cadres qui composent nos comités de direction. Pourquoi renouveler aussi fréquemment ces fonctions qui devraient garantir la stabilité dans nos organisations? Deux facteurs immédiats nous viennent à l’esprit: l’épuisement fréquent qui guette des profils très investis dans leur mission d’une part, et le caractère très temporaire de la lune de miel entre un nouveau directeur et son nouvel employeur d’autre part. La conséquence de ces changements de casting réguliers? Des revirements stratégiques à 180 degrés et de nouveaux équilibres et accords à trouver au sein de l’équipe dirigeante. Ce n’est pas une mince affaire de réaliser des compromis aujourd’hui, à l’heure où notre sport favori semble être la contestation systématique de la vérité. Plaider pour un ralentissement de la mobilité des directeurs n’est sans doute pas réaliste. Par contre, poser les conditions strictes d’adhésion au projet collectif peut être mis davantage en évidence.
Réussir enfin à inverser le principe de responsabilité
Le pouvoir ne se mesure pas au nombre de personnes qui évoluent sous nos ordres. Car le réalité quotidienne est la suivante : lorsque l’on endosse une fonction à responsabilité, on augmente tout simplement le nombre de personnes qu’il faut servir, et non l’inverse.
Atteindre un poste de direction est certainement une reconnaissance du travail accompli et d’une capacité à embarquer les collègues dans son sillage. C’est aussi et surtout un engagement vis-à-vis des équipes que l’on engage. L’entreprise n’est pas un lieu démocratique; elle fonctionne cependant sur un principe de représentation pour que les prises de décision et les actions puissent susciter l’adhésion. Partager et porter ces décisions de manière uniforme dans tous les départements de l’entreprise est forcément nécessaire pour obtenir un mouvement d’ampleur. A l’inverse, l’immobilisme est au rendez-vous lorsque les collaborateurs sont exposés au désaccord entre les différents responsables. Sans grande surprise, les travailleurs s’arrêtent, regardent et comptent les points lorsque les ‘élites’ s’affrontent. Que ce soit acceptable ou pas n’est au fond pas la question…
La base d’une dynamique collective au sein de nos entreprises se construit au sommet de celles-ci. Perdre son temps dans les guerres de tranchées (où les egos s’affrontent donc) n’est pas une option. Le meilleur moyen de cultiver la solidarité entre collaborateurs consiste à donner l’exemple. Comment? En s’appliquant des règles de discipline et de loyauté qui offrent de la cohérence à celles et ceux qui nous entourent. Des principes désuets pour certains. Des valeurs nobles et inspirantes pour les autres. Reste à choisir notre camp.
Jean-Paul Erhard
Crédit photo: ©Full Metal Jacket