Editorial – Les fondations du droit social vacillent. Reprenons rapidement le chemin de la négociation.

Dans la quête de flexibilité qu’impose le marché du travail, les frontières entre les statuts des travailleurs s’estompent. Les ‘business model’ de nos entreprises évoluent eux aussi, à l’instar de ce que nous voyons actuellement dans la grande distribution (Delhaize, Mestdagh, Intermarché…) où le système de franchise tend à s’installer comme une nouvelle norme. Notre droit social n’est pas préparé à faire face à ces ‘bouleversements’. Conséquences: une concertation sociale de plus en plus compliquée à tous les échelons, des syndicats relativement dépassés par les événements et un questionnement sérieux quant aux menaces qui pourraient peser sur la protection des salariés et de leurs conditions de travail. Ne serait-il pas temps de repenser les bases du droit du travail?

Ce qui nous frappe, c’est la contradiction apparente qui semble exister entre l’entreprise qui tend à devenir chaque jour davantage un lieu de (ré-)confort et de service d’une part, et, d’autre part, la détérioration des conditions de travail pour celles et ceux qui sont confrontés à des environnements de travail qui cherchent à limiter leurs coûts fixes en variabilisant tout ce qui peut l’être… Pendant ce temps, le droit social court derrière la manière dont les acteurs économiques interprètent les textes de loi et trouvent de nouveaux schémas d’organisation qui perturbent nos habitudes. Dans l’économie de plateforme, les travailleurs sont-ils indépendants ou salariés? Lorsqu’une entreprise bascule vers un modèle de franchise, doit-elle se soumettre aux prescrits de la Loi Renault?… Beaucoup de questions de ce genre, peu de réponses… Il y a du pain sur la planche pour les conciliateurs sociaux.

Le droit social, un art délicat
Nous aimerions que le droit soit une science exacte et que d’une certaine manière, il suffit de se référer aux textes pour savoir ce qui est conforme au droit et ce qui ne l’est pas. Ce n’est pas le cas. C’est une matière vivante qui souffre elle aussi de notre difficulté sans cesse croissante à recréer du consensus.
Les exemples sont légion. La manière dont les travailleurs s’organisent en rotation dans les mouvements de grève afin de ne pas perdre leur droit à la rémunération, le transfert conventionnel de salariés dans une autre entreprise alors qu’il est évident que leurs conditions de travail seront modifiées, la négociation d’une rupture de contrat et de ses clauses de non concurrence et de propriété des données… Toutes ces situations devraient être encadrées par la signature d’un contrat ou d’une convention collective et pourtant, dans de nombreux cas, nous n’y arrivons pas. Le droit social est avant tout une aire de jeu dont il faut comprendre que le sport que nous préférons y pratiquer est celui de la négociation. C’est la raison pour laquelle nous devons accepter et promouvoir le dialogue à chaque instant.

Les organisations syndicales sont-elles déconnectées du monde réel?
La question de la concertation sociale se pose nécessairement. Constat n°1: les syndicats sont plutôt impuissants aujourd’hui. Ils parviennent à nouveau à mobiliser les troupes lorsque la protection sociale et le maintien des conditions de travail des salariés sont menacées à long terme. Il est difficile de leur donner tort en l’occurence. Par contre, les résultats obtenus sont la plupart du temps… misérables. Pourquoi donc?
Décrocher des accords sociaux est devenu un processus long et complexe. En fait, répondre à la somme totale des aspirations individuelles (ben oui, chaque situation est particulière) et défendre des principes collectifs qui vont à l’encontre de l’évolution de nos entreprises, ce n’est pas à proprement parler une mission facile à remplir.
Constat n°2: l’amélioration continue des pratiques RH et la prise en compte du bien-être constituent des concurrents sérieux aux représentants syndicaux. Il est difficile de se positionner en tant que défenseur des travailleurs à partir du moment où, comme nous le pensons, les responsables RH se positionnent à raison en tant que garant de la justice. Mais il est certainement possible de dépasser le stade de la compétition en matière de soutien aux travailleurs. Il y a de la place pour un solide partenariat.

Des lois écrites et votées dans l’urgence, forcément incomplètes…
L’innovation sociale est une discipline en soi. Le marché du travail avance aussi grâce aux dirigeants (et aux travailleurs parfois) qui font bouger les lignes. Augmenter la flexibilité au travail, cela se passe sur le terrain, dans le quotidien de l’entreprise et non dans les chambres parlementaires ni dans les groupes de travail qui réunissent les partenaires sociaux. Et le rythme (de l’innovation) s’accélère sérieusement ces dernières années. Corollaire immédiat: nous devons faire face au risque fréquent qui consiste à légiférer dans l’urgence, en mode réactif. Les textes de loi répondent à la nécessité de « courir derrière » les innovateurs qui donnent une lecture nouvelle à la réglementation (surtout à ce qui n’y figure pas en fait !). L’entrée en vigueur, par exemple, des dispositions relatives au droit à la déconnexion en est une bonne illustration.

Au final, la question centrale consiste à mettre la réglementation au service du bien-être et de la motivation des travailleurs. A cet égard, il est peut-être temps de le réinventer. Certaines questions gagneraient à être abordées de façon différente, à commencer par simplifier l’organisation du temps de travail et trouver des moyens de rémunérer en fonction de la santé de l’entreprise. Notre conviction profonde est que cela ne se fera pas sans le concours de tous les partenaires sociaux. Le dialogue passe par la prise en compte des intérêts légitimes de la partie ‘adverse’, sans attendre que celui-ci soit à genoux pour exercer un quelconque petit pouvoir.

Jean-Paul Erhard

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