Ça passe ou ça casse… C’est peut-être ce que ce sont dit les leaders syndicaux au moment de lancer l’appel de novembre. Trois jours de grève nationale à la fin novembre juste avant d’entrer dans la période des fêtes qui annonce déjà un sérieux ralentissement du business quotidien… Il y a l’unanimité. Tout le monde affirme d’ores et déjà que cet appel est parfaitement contre-productif.
Alors, même si parfois la majorité peut avoir tort, il est bien possible que les syndicats n’aient pas choisi la bonne méthode.
Au terme de ces trois belles journées d’automne, y aura-t-il un quelconque revirement social ou politique? Non. C’est pourquoi nous pensons que les organisations syndicales viennent de mettre en jeu ce qu’il leur reste de crédibilité. Et nous serons peut-être bien contraints de reconnaître leur impact dérisoire ainsi que leur manque de représentativité à la fin de ce ‘séminaire’ de 3 jours. Le constat sera douloureux et, pourtant, tellement prévisible. Explications.
Qui sont les cibles des festivités annoncées?
Essayons de faire abstraction de ce que cela va donner sur le plan de la mobilisation… A qui s’adresse cette grande et belle idée qui consiste à tenter en vain de bloquer un pays qui est déjà à l’arrêt? Les organisations syndicales parlent de grève politique, dont l’objectif consiste à faire reculer le gouvernement. Zéro chance que cela ne se produise, pour la bonne et simple raison qu’il y a une majorité importante de la population qui partage les constats et ‘accepte’, même passivement, les mesures annoncées. Quelques heures seulement après la ‘mobilisation’ syndicale, chacun retournera à son quotidien et personne ne se souviendra des slogans hurlés sur le pavé.
Les cibles sont politiques. Les ‘victimes’ sont économiques. Cherchez l’erreur. Car pendant ce temps, nos entreprises vont perdre un temps précieux pour trouver les moyens de s’organiser malgré les mouvements. Elles vont aussi essayer de réduire la polarisation des tensions entre celles et ceux qui veulent participer au projet entrepreneurial et les autres qui travaillent par pure nécessité.
Nous n’avons pas besoin de cela dans le contexte actuel qui exige de l’engagement et du sang froid.
C’est dans nos entreprises – et nulle part ailleurs – que se trouvent les moyens de soutenir et financer la cohésion sociale, ce que nous appelons la solidarité. C’est la raison pour laquelle cette initiative est tout simplement toxique.
Adhésion, appartenance, engagement ?
Qui va donc prendre part aux manifestations programmées, hormis les noyaux durs des organisations syndicales et les partis politiques placés aujourd’hui dans l’opposition? La difficulté que rencontrent ces mouvements réside dans l’absence de cohérence dans les revendications des participants. Entre les demandeurs d’emploi bientôt exclus du chômage et les seniors invités à prolonger leur carrière professionnelle, il n’y a – à ce jour – pas de connexion logique.
Nous avons entendu que la présence des jeunes est remarquable lors des mobilisations récentes. S’agit-il pour autant d’un signe de ralliement ? Certainement pas.
La particularité des générations qui sont entrées récemment sur le marché du travail et de celles qui s’y préparent, c’est le rejet de quelque forme d’adhésion durable que ce soit. Elles ne refusent pas le collectif. Elles passent d’une communauté à une autre afin d’y satisfaire des besoins ponctuels et personnels.
Cette réalité vit intensément dans nos entreprises (cfr les problématiques de rétention), et elle transcende d’ailleurs les questions liées aux générations. Cela ne fonctionne pas autrement pour les mouvements sociaux. Ne confondons pas une forte envie de s’exprimer et de faire entendre sa voix avec l’adhésion à des manifestations politiques. Les agendas sont super disparates et non connectés. La cohérence de l’ensemble n’existe pas.
Oui, il y a des ‘corps intermédiaires’ qui vont disparaître…
Pourquoi pensons-nous enfin que l’appel de novembre pourrait sonner le glas des organisations syndicales, ou du moins de leur représentativité? Parce que la plupart des corps intermédiaires sont menacés – ce qui n’est pas une bonne nouvelle ! – par le nettoyage en cours de ce qu’on appelle l’état profond.
Aussi ‘révolutionnaires’ soient-ils, les syndicats font partie de cet état profond, autrement dit des piliers de la société. Il y a actuellement un souffle de chaos généralisé qui vise à éradiquer les positions acquises. Nos contrées européennes n’y échappent pas. Ainsi, le premier ministre de notre plat pays et ses partenaires sont habités par l’envie de démonter le Groupe des Dix ainsi que d’autres acteurs qui opèrent comme des intermédiaires (parmi lesquels les mutuelles, organisations représentatives, secrétariats sociaux et… syndicats). C’est l’air du temps.
Au fond, l’appel de novembre peut aussi être entendu comme une ultime tentative de révolte contre cette menace autoritaire. Reconnaissons lui un certain sens du panache. Ou une tendance limite suicidaire… Car si la mobilisation n’est pas au rendez-vous, c’en est fini de la représentativité des organisations syndicales au niveau macro-économique en tout cas ! Il y a un risque sérieux de confirmer qu’elles n’incarnent plus des individus/travailleurs qui ne s’y retrouvent guère.
Reste une question que nous voulons poser donc : pouvons-nous encore changer l’agenda? En effet, trois jours à la fin du mois de novembre, c’est un bon format pour un séminaire stratégique, au cours duquel on multiplie les déclarations d’intention et le rêve prend souvent le dessus sur le bon sens pratique, même si celui-ci nous rattrape dès les jours suivants. Il suffit de retrouver l’énergie et la volonté de s’asseoir ensemble pour trouver ce qui peut nous réunir. Nous pouvons le faire.
Jean-Paul Erhard

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