A force d’être toujours en quête de la formule magique, peut-être ne voyons-nous plus les solutions qui se trouvent juste sous nos yeux? Les modèles d’entreprises à visage humain se succèdent. Ils parviennent rarement à s’installer dans la durée. Pourtant, les besoins de nos collaborateurs sont assez constants, quoi qu’en pensent ceux qui cherchent ce qui différencie les générations au lieu de réfléchir sur ce qui les réunit. Proximité, appartenance, durabilité… Ce sont des engagements et des valeurs que nous retrouvons systématiquement dans les entreprises familiales, celles qui se transmettent de père/mère en fils/fille lorsque leurs fondateurs ont décidé de passer la main. Voyons pourquoi et comment ces structures qui se perpétuent par les liens du sang peuvent répondre aux attentes des travailleurs.
Parlant de notre société, nous devons constater une forme de dislocation et d’effondrement des piliers auxquels nous pouvons nous rattacher. Inquiétante également, la quasi impossibilité de débattre paisiblement des questions qui déterminent la façon dont nous vivons ensemble. Les citoyens – et donc les travailleurs – ont cependant toujours besoin de repères. Nous pensons que les entreprises familiales ont en leur sein des réponses concrètes à ces besoins. Lesquelles?
Le besoin d’intégrer une vraie famille.
L’argument est souvent utilisé, de manière plus ou moins superficielle en fonction des cas. Il est porteur sur le plan de l’Employer Branding. Nombre d’employeurs activent le levier familial pour développer leur attractivité sur le marché : « Rejoignez une entreprise offrant une atmosphère familiale… Bla bla bla… » L’objectif est simple: offrir un cadre relationnel riche ainsi qu’une garantie de prise en compte des problématiques personnelles dans la gestion quotidienne de l’entreprise. Louable, bien sûr.
Mais au fond, quoi de mieux qu’une entreprise vraiment familiale pour tenir cette promesse? Elle porte cette dimension dans sa génétique et présente une disposition innée ET légitime à entrer dans une relation d’intimité. Mieux encore, elle répond au besoin fondamental qui consiste à se rattacher à des figures de référence qui font rempart face aux inégalités croissantes.
Naturellement, il y a des inconvénients dont l’impact émotionnel des décisions difficiles, les réactions sanguines, le sentiment de trahison en cas de rupture… De plus, les fondateurs et leurs héritiers s’investissent sans compter et espèrent toujours obtenir le même niveau d’engagement de la part de leurs collaborateurs. Au risque d’être déçus. Parfois. Souvent.
Une formule simple pour réconcilier valeurs et performances
Autre intérêt principal et évident de l’entreprise familiale: l’incarnation. Vous connaissez vraiment les personnes pour lesquelles vous travaillez. Le modèle du Family Business est différent parce que l’actionnaire est visible.
Ce capitalisme incarné offre deux avantages majeurs selon nous: d’une part, il permet de donner au principe de performance un but supérieur, au-delà de la performance elle-même (qui ne mobilise qu’un faible échantillon des travailleurs d’ailleurs). Et d’autre part, il rend accessible la manière dont les résultats (lire: les bénéfices) seront utilisés voire partagés. L’évolution du patrimoine familial et la façon dont celui-ci est investi sont très tangibles au sein de nos entreprises familiales.
Par ailleurs, les valeurs de l’entreprise s’expriment elles aussi de manière différente: pour refléter l’ADN familial, elles s’inscrivent souvent dans un métier, un savoir-faire, un terroir, un événement fondateur… Ce sont des données concrètes qui permettent d’adhérer (ou de rejeter!) facilement. On aime ou on n’aime pas. Peu de compromis à faire avant de décider de s’impliquer dans un projet dont les objectifs de croissance et les valeurs de terrain sont simples à associer à une réalité de terrain.
Solidement ancrée dans le temps
Et puisque nous évoquions rapidement ci-dessus la notion de patrimoine, revenons-y en quelques mots afin de souligner à quel point elle rime avec engagement durable dans le cadre de l’entreprise familiale. Il n’y a pas d’interrogation possible quant à l’intérêt d’inscrire dans le temps long le développement de l’entreprise. La confusion parfois totale entre les patrimoines privé et professionnel des dirigeants permet de simplifier la prise de décision. Il faut penser long terme, gestion raisonnable des ressources et transmission. A l’opposé en quelque sorte de la logique développée par des apprentis investisseurs nantis pariant sur le succès rapide d’une start-up.
Que l’on parle de patrimoine ou de capital, les familles engagées dans un projet entrepreneurial veilleront enfin à ne pas commettre l’erreur qui consiste à croire que les équipes leur appartiennent. Sans doute s’agit-il de la principale difficulté rencontrée par les dirigeants des entreprises familiales.
Hyper conscients de leur responsabilité vis-à-vis de leurs collaborateurs, et donc forcément impliqués dans leurs trajets de vie, ils peuvent croire de temps à autre que les effectifs figurent à l’actif de leurs bilans. Ce n’est pas le cas (et nous serions bien inspirés d’éviter d’associer l’humain à des termes tels que ‘capital’ et ‘patrimoine’ d’ailleurs).
Les travailleurs n’appartiennent qu’à eux-mêmes. Bien sûr, ils exigent de l’appartenance et de la sécurité, entre autres. Cependant, au moment de signer leur contrat, aucun.e d’entre eux n’a renoncé en contrepartie à sa liberté d’aller et venir où et quand bon lui semble. Il y a bien longtemps que le contrat de travail n’est plus un accord de subordination. L’engagement y est mutuel, ou il n’est pas.
Les vertus du Family Business sont nombreuses. Le modèle est ancien et les conditions de son retour à l’avant-plan semblent réunies, alors que nous cherchons les moyens de développer et de préserver l’implication des employeurs et de leurs collaborateurs les uns envers les autres, au travail et bien au-delà.
Jean-Paul Erhard