L’idée est installée et soutenue par les institutions lorsque l’Organisation des Nations Unies, via son rapport spécial sur les droits de l’Homme et l’extrême pauvreté, avance que notre société « obsédée » par la croissance mène à une économie du burn-out et de la pauvreté et subit dès lors une situation dramatique en matière de santé mentale.
L’économie – et par extension la réalité quotidienne de nos entreprises – coupable de la plupart de nos maux… C’est difficile à entendre lorsque, comme nous, on croit aux valeurs positives de réalisation de soi, aux liens sociaux que le travail permet de créer et d’entretenir, à la contribution évidente des entreprises à l’amélioration de notre qualité de vie… Sujet délicat, n’est-il pas? On y va.
Nous ne contestons pas les dérives possibles de nos modèles économiques dont la finalité est bel et bien la performance. Nous ne pouvons pas davantage nier qu’il y a une belle (petite) brochette de dirigeants a minima toxiques et au pire dangereux. Et nous ne voulons pas résumer la question des addictions à l’accumulation des failles, personnelles et professionnelles, avec lesquelles chaque individu doit composer. L’alcool, les drogues, la surconsommation médicale sont des réalités y compris dans l’entreprise. Prenons quelques instants pour décoder et agir.
Obsession de la croissance ou instinct de survie ?
La question centrale semble donc être celle de la performance à tout prix. Et de la pression que celle-ci exerce sur les travailleurs, à commencer par les plus vulnérables d’entre eux. Sommes-nous pris dans un engrenage dont nous aurions perdu la maîtrise?
Tous les managers ne sont pas préparés à gérer la relation des travailleurs à la performance. Or, celle-ci est directement liée à la qualité de leur management. Celui-ci agit tantôt comme un bouclier protecteur, tantôt comme un catalyseur qui permet de la traduire en termes compréhensibles et mobilisateurs. Lorsqu’il ne filtre pas la pression à la performance, celle-ci peut en effet atteindre les équipes avec une brutalité choquante.
Ceci étant dit, nous devons nous entendre sur la motivation qu’il y a derrière cette quête de performance. Dans de très nombreux cas – et notamment ceux qui concernent les organisations de taille petite et moyenne ainsi que dans les secteurs associatifs -, ce n’est pas une question de croissance mais tout simplement de survie!
Soyons concrets ! Dans des secteurs tels que l’horeca et la construction – structurellement en crise et reconnus pour occuper un ratio important de collaborateurs souffrant d’addictions sérieuses aux drogues les plus dures -, l’inefficience et la mauvaise gestion sont rapidement sanctionnées par l’arrêt pur et simple des activités. Renoncer à la performance ? Il n’en est tout simplement pas question. L’entreprise se nourrit de la performance. Plus clair encore : sans elle, c’est la mort.
L’entreprise responsable des troubles et addictions de ses collaborateurs?
Le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’Homme et l’extrême pauvreté, le Belge Olivier De Schutter, mentionne à juste titre ‘’qu’il est cependant possible de sortir de ces engrenages, à condition d’accorder une plus grande place au bien-être qu’à la quête sans fin de croissance économique. Nous devons aller au-delà d’un simple soutien médical à ceux qui font face à la dépression, à l’anxiété et refuser de ne traiter que les symptômes.’’
Nos entreprises ne s’exonèrent pas du rôle consistant à (re-)prendre en mains l’amélioration et le financement du bien-être des travailleurs et de leurs proches. Mieux encore, la plupart de nos organisations s’en emparent avec une belle sincérité et des moyens considérables.
Est-ce pour autant une reconnaissance de culpabilité alors que toutes les études et que la simple écoute de nos collègues nous démontrent que la sphère privée est toujours décisive dans le ressenti de la charge psycho-sociale? Non, l’entreprise n’est pas toujours la cause profonde. Elle ne l’est même que rarement. Et, malgré tout, nous la voyons chaque jour davantage s’investir en matière de santé mentale et de dispositifs de soutien multiples au bénéfice de ses travailleurs.
L’accomplissement et le plaisir dans la performance et dans l’effort
Nos bureaux et nos entrepôts ne sont ni des salles de torture, ni des arènes sportives. Et la quête de performance n’est pas le domaine réservé des sportifs d’exception. La performance dans l’entreprise, c’est autre chose. C’est un moteur universel, qui s’applique d’ailleurs à un nombre infini de domaines d’activités. C’est pourquoi elle est fondatrice pour la plupart des projets collectifs.
La vision positive du People Management que nous partageons repose, entre autres, sur la création d’opportunités pour que chacune et chacun puisse se réaliser, dans un environnement apaisé et ambitieux. Et pour mettre en œuvre cette vision, nous n’avons jamais rencontré de super-héro.ïne.s, capables de réaliser des miracles. Nous n’avons croisé que des équipes qui décident de se réunir et d’inverser le cours des événements lorsque c’est nécessaire et que le bien-être de l’ensemble prend le pas sur les intérêts particuliers. C’est précisément à ce moment-là que la notion de performance (et d’effort) est tellement pertinente et nécessaire.
Restons donc ambitieux et lucides en même temps. Nous échangeons chaque jour quant aux moyens d’offrir des expériences uniques à nos collaborateurs. Et pendant ce temps, tout autour de nous, nous croisons aussi des collègues devenus dépendants des anxiolytiques, des anti-dépresseurs, de l’alcool, de cocaïne et de tellement d’autres dérivatifs.
Le phénomène tend à se banaliser. Nous ne fermons pas les yeux. Devons-nous y prêter plus d’attention qu’aujourd’hui ? Sans aucun doute. Devons-nous en outre renoncer au modèle de performance économique qui nous permettra de venir en aide à celles et ceux qui en ont besoin? Certainement pas.
Jean-Paul Erhard