« Quelles sont les qualités qui vous permettent d’ambitionner une fonction de leadership? » Lors d’un entretien de recrutement, rares sont les candidats qui tombent encore dans le piège et vous répondent que le monde entier leur reconnaît un formidable charisme, ou vous expliquent comment ils investissent naturellement ce rôle naturel de fédérateur lorsqu’ils sont dans un groupe…
Aujourd’hui, lorsque vous demandez ce qu’il faut pour devenir un bon leader, c’est la capacité d’écoute qui revient systématiquement au tout premier rang dans la bouche des candidats managers. C’est tout à fait dans l’air du temps. C’est bien. Mais ce n’est pas assez!
L’éventail des qualités requises pour devenir un leader est quasi infini. Il y a les attentes paradoxales à gérer bien sûr, ce qui nécessite une agilité mentale réelle. Il y a aussi une posture d’éveil permanent afin de capter les signaux transmis par nos équipes. Il y a surtout la capacité à décider quels sont les chantiers que nous allons ouvrir ici et maintenant… et l’écoute bien sûr, qui figure tout en haut de la liste. Encore faut-il que cela serve vraiment à quelque chose au final.
Écouter et agir. Sinon, à quoi bon ?
Pour un collaborateur, pouvoir bénéficier d’une oreille attentive, c’est toujours sympa. Ça permet de ventiler les frustrations ou, mieux encore, de partager des signaux clairs quant à ses attentes et ses ambitions. Mais cela reste une maigre satisfaction au bout du compte si cela ne va pas plus loin.
Le ‘deal relationnel’ doit être super clair : chaque manager a intérêt à rappeler aux membres de son équipe que tout ce qui sera dit sera ‘exploité’ au bon sens du terme. Il n’y a pas lieu d’entretenir une culture de la ‘confidence’ (et encore moins celle des petits secrets) dans nos organisations.
Le contenu des échanges qui interviennent entre un travailleur et son responsable doit être utilisé pour que chacun puisse avancer, idéalement ensemble et parfois séparément.
Les capacités d’écoute ne servent à rien si elles ne sont pas soutenues par une grande compréhension des enjeux personnels et collectifs, assortie d’une aptitude à les traduire en actions concrètes.. Appelons cela de l’intelligence sociale si vous voulez bien. Une compétence absolument nécessaire car il suffit d’une erreur dans le décodage de l’info et bardaf, c’est l’embardée.
Un rôle pédagogique à remplir même s’il n’est pas toujours bien accepté
Poussons encore un peu plus loin le curseur de nos ambitions en matière de leadership. Nous avons aussi un défi majeur à relever en matière de post-formation, une phase importante pour tous les travailleurs qui sont encore ‘jeunes’ sur le marché du travail mais pas seulement.
Les chatons qui sortent de l’enseignement, et parfois même des personnes qui ont déjà eu leur(s) première(s) expérience(s) professionnelle(s) ne sont pas prêts à relever les suprêmes défis que nous allons leur proposer. Parce que c’est forcément particulier chez nous (alors qu’en fait, pas vraiment !)
Ce rôle de pédagogue n’est pas forcément bien accueilli parce qu’il y a l’orgueil bien sûr mais la méfiance surtout. Les travailleurs revendiquent à juste titre une liberté de penser intangible. C’est sociétal. Et lorsque leur management offre une clé de lecture du monde qui nous entoure, nécessaire pour comprendre ce que l’on fait ensemble, il y a une crainte de manipulation psychologique, d’endoctrinement, d’emprise… Comment trouver l’équilibre donc entre la pédagogie et l’indépendance d’esprit de chacun.e? Cela passe par le dialogue et par l’octroi de temps de digestion des points de vue échangés. Se parler, et s’entendre, encore et encore…
Et il reste tellement à faire pour celles et ceux qui ne parlent pas…
Encore une autre raison, bête et méchante, pour laquelle l’écoute ne suffit pas? Nos organisations comptent en leur sein bon nombre de collaborateurs qui ne parlent tout simplement pas! Devons-nous alors nous contenter du silence ? Et vivre au gré des hypothèses et intuitions qui nous traversent Bien sûr que non. Il faut aller les chercher, en prenant l’initiative de la conversation. Un effort indispensable. Car le meilleur moyen de comprendre ce qui n’est pas dit, consiste à poser des questions et à demander à ceux qui nous entourent ce qui les animent, les tourmentent, les immobilisent ou les stimulent…
Attention, terrain miné dans certains cas ! Il s’agit en effet d’aller détecter des ‘problèmes’ qui pourraient aussi bien rester enfouis dans les sombres pensées de nos collègues. Quelle est donc la meilleure option? Vivre dans l’ignorance et l’apparente tranquillité ou faire émerger les préoccupations de celles et ceux qui travaillent avec nous ? Nous avons le choix…
L’exercice du leadership et plus généralement de quelque fonction managériale passe par la pratique intensive de la communication. Phase 1 : s’arrêter et tendre l’oreille. L’écoute est une condition nécessaire pour être reconnu et accepté en tant que leader aujourd’hui. Une condition nécessaire, mais non suffisante.
Sans pédagogie ni garantie quant à notre capacité à agir et impacter concrètement le futur de nos interlocuteurs, le temps que nous consacrons à l’écoute est à considérer comme un investissement perdu. Est-ce encore envisageable en ces temps marqués par la rareté de nos ressources? Poser la question, c’est y répondre, n’est-ce pas ?
Jean-Paul Erhard