Au sein de nos équipes, la diversité des points de vue est considérée comme une grande richesse. Certes… Elle ne nous facilite pas la tâche pour autant. A force de constater des désaccords, nous devons apprendre à vivre au sein de collectifs désunis et fragiles, où la cohésion n’est jamais garantie.
Et donc, il faut vivre avec la probabilité que le groupe puisse ‘exploser’ en plein vol. Conflits, trahisons, démissions,… Ce sont des événements fréquents. Conséquence: la dynamique collective dominante aujourd’hui est celle d’une tension palpable qui installe une sensation de danger et qui peut épuiser les organismes. C’est aussi une dynamique qui, à priori, devrait permettre de garder tout le monde en éveil. Est-ce bien raisonnable?
Zéro surprise. Dans une société de plus en plus polarisée, il est logique que nous ayons des entreprises qui vivent elles aussi dans un climat où les débats sont difficiles et le clash est possible à chaque instant. Ce n’est pas le fruit d’un mauvais hasard mais juste la résultat de nos propres comportements… Question donc: pourquoi donc créons-nous nous-mêmes les conditions de notre insécurité?
Les débats contradictoires peuvent détruire la cohésion d’équipe.
La concertation autour de points de vue différents, allant parfois jusqu’à la confrontation, est nécessaire. Sans cela, nous aurions des organisations vides sur le plan neuronal. Attention cependant car il arrive qu’elle soit destructrice aussi.
Les échanges peuvent être vifs de temps en temps. Ils peuvent être violents parfois, notamment lorsqu’ils touchent à l’intégrité des personnes. Il faut que les débats soient modérés. Et que les équipes soient préparées à se dire les pires saloperies au monde – parfois, c’est nécessaire au-delà du simple exutoire des énergies négatives ! – pour ensuite, être en capacité de repartir ensemble comme au premier jour. Nous oublions parfois de nous rappeler les fondamentaux avant de rentrer dans des discussions qui s’annoncent difficiles. La priorité des priorités ne change pas : à la sortie, nous devons être capables de continuer à travailler ensemble.
Choisir entre l’efficacité d’une équipe homogène ou la richesse d’une réflexion parfois difficile
Au fond, nous pourrions opter pour la facilité au moment de composer les équipes. Nous avons déjà vu et observé des équipes de management super cohérentes en terme de profils. Avec par exemple une belle brochette d’ingénieurs matures et bien rationnels. Une équipe forte, dotée de toute la puissance de calcul nécessaire et naturellement contrainte dans sa capacité de disruption. Clairement, ça fonctionne comme un rouleau compresseur. L’alignement est plutôt simple à obtenir lorsque la satisfaction des egos dominants est assurée. En matière de respect de celles et ceux qui ne composent pas ce petit cercle, c’est une autre histoire.
Ce format collectif est terriblement efficace… et horriblement hermétique aux signaux que le monde extérieur lui envoie pour l’avertir d’un changement de paradigme. Il réfléchit vite et bien, avec une ouverture d’esprit souvent minimale. Il ne se déchire pas, il s’auto-détruit avec le temps qui passe.
Arrêter de créer nos propres problèmes
Au-delà du manque de tolérance des petits esprits, une des raisons pour lesquelles les compromis sont de plus en plus difficiles à atteindre reste ce besoin irrépressible de promouvoir nos egos. Accepter d’avoir tort, c’est douloureux. Revenir sur une décision que l’on a estimée brillante il y a quelques semaines, c’est pénible. Renoncer à la quête de vengeance vis-à-vis de celle ou celui qui nous a mis un taquet jadis, c’est compliqué… Le fait est que nous sommes la plupart du temps les créateurs de nos propres névroses.
Sans capacité à vivre sereinement avec les erreurs et à pardonner à ceux qui nous ont offensé (wow… ça, je ne pensais pas l’écrire un jour !), nous sommes obligés de transporter jour après jour des sacs de nœuds qui finissent par peser lourd.
Il est temps de conclure. Puisque nous posions une question à l’entame de ces quelques lignes, il nous semble opportun d’y proposer une réponse. Oui, le modèle collectif sous tension est praticable. C’est parfois même un mal nécessaire.
Comment l’appréhender? Les tensions et autres désaccords sont supportables à partir du moment où nous nous libérons des pulsions primitives qui définissent entre autres le principe de la sélection naturelle et de la loi du talion (œil pour œil, dent pour dent)… A nous donc d’apprivoiser la (les) bête(s) sauvage(s) qui sommeillent en nous.
C’est sans doute pour cela que des compétences telles que l’intelligence émotionnelle et la gestion des conflits – celles qui font de nous de super bonobos – montent petit à petit dans la hiérarchie des compétences requises auprès d’un bon leader. ‘Agree to disagree’ comme on le dit outre Manche et Atlantique.
Jean-Paul Erhard