Une analyse récente menée par France Stratégie souligne la montée du phénomène d’instabilité récurrente dans les carrières professionnelles. Un nouveau concept ? Pas vraiment, une nouvelle réalité qui met en évidence la transformation forcée des transitions professionnelles vécues par les travailleurs.
La note rédigée par Jean Flamand (Département Emploi Travail Compétences de France Stratégie) fait était de « passages par le chômage plus fréquents et des contrats à durée limitée plus nombreux et plus courts ». Voilà ce qui ressort d’une analyse détaillée des transitions professionnelles des personnes au cours des dix dernières années en France. Nul doute cependant que celle-ci est pertinente pour les pays d’Europe occidentale à tout le moins.
Ces résultats traduisent un changement profond dans les modes de gestion de la main-d’œuvre, avec un risque de fragilisation accrue d’une partie des actifs.
Comment résumer cette étude ? Attardons-nous dans un premier temps à l’évolution des contrats de travail.
« Le CDI est-il toujours la norme en matière de contrat de travail ? Oui et non. Oui avec une mesure en stock, c’est-à-dire une photographie des types de contrats à un instant t, photographie qui montre que 85,5 % des salariés sont ‘encore’ en CDI. Non si le regard se porte sur les flux. En l’espèce, une telle analyse montre que la majorité des embauches se fait aujourd’hui en contrats courts et qu’un actif sur cinq change d’employeur ou connaît un épisode de chômage d’une année sur l’autre. C’était un sur huit il y a trente ans…
On sait qu’une carrière ne s’envisage plus désormais de manière linéaire. On sait moins en revanche dans quelle mesure et pour qui les transitions, les ruptures ou les interruptions de parcours professionnels sont plus fréquentes, en particulier depuis la crise de 2008. C’est tout l’intérêt de cette analyse des transitions professionnelles des personnes (entre emploi(s) et chômage).
En se basant sur les enquêtes Emploi de l’Insee, elle confirme déjà que les trajectoires professionnelles sont plus heurtées aujourd’hui qu’au début des années 1980, c’est-à-dire avant l’assouplissement de la législation qui a permis le recours aux CDD et à l’intérim. Entre 1980 et 2014, la part des actifs qui, à un an d’intervalle, connaissent une transition professionnelle passe ainsi de 12 % à 17 %. Or, cette augmentation est à attribuer presque exclusivement à des épisodes de chômage plus fréquents. »
Les inégalités se creusent sur le marché.
Autre grille de lecture : tous les travailleurs sont-ils concernés de la même manière par ces évolutions ? La réponse est négative.
« Certains sont plus exposés que les autres, au premier rang desquels les jeunes et les moins qualifiés. Une surexposition dont l’analyse montre qu’elle est avant tout imputable à l’importance prise par les contrats à durée limitée dans la gestion de la main-d’œuvre. Un chiffre le résume : la probabilité d’être au chômage à horizon d’un an est dix fois moins élevée pour un salarié en CDI que pour un salarié en intérim.
Autre déterminant majeur : la durée du contrat. Il peut sembler trivial de dire que plus un salarié travaille en contrats courts, plus il risque de connaître des épisodes de chômage. La réalité chiffrée n’en est pas moins édifiante. Depuis la crise, les transitions vers le chômage concernent plus d’un cinquième des salariés en contrat de très courte durée (moins d’un mois) et ce chiffre grimpe encore dans les métiers de services qui autorisent les CDD d’usage et la réembauche (restauration, évènementiel, services à la personne…).
Enfin, les salariés en CDD tendent à le rester. Sur vingt salariés toujours en emploi un an plus tard, trois seulement sont passés en CDI quand quatorze sont toujours en CDD dont onze chez le même employeur ! Même pénalité pour les chômeurs dont les retours à l’emploi se font six fois sur dix en CDD ou en intérim. À cette persistance dans l’emploi à durée limitée, s’ajoute l’augmentation du sous-emploi (avec un presque doublement des temps partiels subis depuis 1990). Ensemble, ces tendances dessinent ainsi un marché du travail de plus en plus dual qui fragilise une partie des actifs en les enfermant à la marge de l’emploi stable. »
Au-delà de la meilleure connaissance qu’elle apporte, cette analyse conforte donc l’importance du débat engagé autour de la flexisécurité et des enjeux de sécurisation des parcours professionnels.
Source : www.strategie.gouv.fr