Sous le titre « La technologie influence la culture d’entreprise… vraiment ? », Arnaud Liégeois (HR Strategy & Knowledge Manager chez Solidaris) nous propose une réflexion documentée et incarnée sur le terrain quant à l’impact des nouvelles technologies sur la culture de nos organisations ? A lire in extenso ci-après !
En se référant aux publications continues sur le sujet, cette affirmation semble être une évidence. Et pourtant… en observant le terrain, on est en droit de se poser la question : est-ce la culture qui permet le déploiement de nouvelles technologies de la collaboration et du partage OU, à l’inverse, est-ce par l’implémentation et l’utilisation de ces technologies que l’on peut influencer le changement culturel ?
Confrontés quotidiennement à la problématique de « comment travailler avec des outils 2.0 dans une culture 1.0 ? », une douzaine d’experts en « Knowledge Management » issus de diverses entreprises et organisations belges se sont récemment réunis pour partager les questions et réflexions autour du sujet. S’il est clair pour tous qu’il existe une corrélation entre technologie et culture, la question du « quoi influence quoi » parait moins évidente, tout spécialement dans le contexte actuel où les technologies se développent beaucoup plus vite que les cultures d’entreprises (un changement culturel s’évalue en terme d’années alors qu’une évolution technologique se mesure en termes de mois).
De l’avis général, si la technologie permet d’impacter des éléments de culture comme la transparence, l’autonomie, la collaboration, la confiance, la sécurité et le contrôle, etc., elle est souvent confrontée à des barrières telles que le fonctionnement en silos, la multiplication des outils ou la sur-information (« infobésité »), par exemple.
Partant de l’hypothèse que la technologie permet d’impacter la culture d’entreprise, il existe selon nous des conditions propices à cette influence. Notre réflexion de groupe a permis d’identifier 7 pistes d’actions pour optimiser l’effet de la technologie sur la culture, en envisageant l’écart entre les deux comme un potentiel de développement.
Les 7 pistes d’actions proposées
1. Adapter les rôles et les outils pour faciliter le partage des connaissances
Il faut veiller à la circulation de la connaissance, identifier les connaissances critiques qui seraient « monopolisées » par quelques personnes et les rendre accessibles à ceux qui en ont besoin. Les personnes expérimentées doivent être valorisées pour leur expertise. On peut, par exemple, leur assigner des rôles de « mentor », « formateur », etc., de façon à favoriser la transmission directe des connaissances.
Au niveau organisationnel, il est nécessaire de développer un système de partage des informations qui évite de cadenasser les échanges par des règles contraignantes. Une bonne collaboration doit exister entre tous les acteurs impliqués dans le partage des connaissances. Il ne faut ne jamais considérer cela comme une prérogative unique de l’ICT, au risque d’avoir un outil trop éloigné des besoins réels des utilisateurs et donc… utilisé dans la « résistance », voire pas utilisé du tout.
2. Mettre en place une stratégie de recrutement adaptée aux attentes technologiques des nouvelles générations.
Il est crucial de travailler au niveau des ressources humaines pour attirer de nouveaux talents parmi les nouvelles générations. A cet égard, le discours communiqué à l’extérieur doit évidemment correspondre à la réalité de l’entreprise. Il est donc crucial d’identifier dans l’organisation les éléments technologiques qui peuvent représenter un point d’accroche des jeunes travailleurs. Pour pouvoir toucher les jeunes, les RH doivent investir davantage dans les canaux de communication que le public-cible utilise prioritairement : les médias sociaux, ce qui peut déjà représenter une « mini révolution » culturelle en soi dans certaines organisations.
3. Profiter de la diversité des compétences pour inciter l’apprentissage et la collaboration
Des actions pour créer des ponts entre générations peuvent être mises en place. Cela permet d’amplifier le partage et la collaboration entre « seniors » et « juniors ». Les jeunes peuvent apporter des connaissances technologiques aux experts qui, à leur tour, peuvent transmettre énormément de connaissances métier aux jeunes collaborateurs. En prérequis, il faut briser le stéréotype décrivant les « seniors » comme peu intéressés par les nouvelles technologies de collaboration et de partage. Dans les faits, il n’en est rien : les « seniors » (de plus de 50 ans) sont de fervents consommateurs de réseaux sociaux, comme l’illustrent différentes études (cf. par exemple, ).
Il faut donc se concentrer sur les points communs entre générations. ils représentent de réelles opportunités de renforcer les relations au sein de l’organisation, plutôt que de stigmatiser les employés en les segmentant et les cantonnant dans des préjugés basés sur l’âge.
4. Adapter les règles et les processus liés à l’utilisation de la technologie aux besoins concrets des travailleurs
La flexibilité doit être développée de façon généralisée, dans tous les domaines de l’entreprise : les personnes, les processus et l’organisation elle-même. Les processus doivent être construits pour faciliter le travail des personnes, dans une perspective « centrée sur l’employé » et non « centrée sur le processus ».
Ce n’est donc pas aux personnes de s’adapter aux processus mais plutôt aux processus d’être flexibles pour s’adapter au travail réel des employés. L’organisation doit elle aussi répondre rapidement à des nouveaux besoins ou des contraintes extérieures en s’ajustant. Cela requiert de mettre en place une organisation qui réduit au maximum les chaînes décisionnelles en responsabilisant les employés sur le terrain.
5. Repenser le rôle du middle-management
Les middle-managers représentent l’articulation majeure de l’entreprise. Ils doivent être envisagés comme des facilitateurs du changement, comme responsables du renforcement des aspects positifs de leurs équipes et du développement de leurs points d’attention. Ils doivent donc être impliqués dans la réflexion sur les nouvelles technologies et leur adéquation car ils sont aussi les meilleurs partenaires pour convaincre les collaborateurs de la pertinence des outils.
6. Développer la confiance au sein des équipes
Pour que la technologie soit porteuse de changement culturel, le terrain doit être propice au sein des équipes. Dans ce cadre, le management ne doit plus être considérés comme une « organe de contrôle » mais bien comme le « catalyseur » qui instaure un climat propice à l’intégration de nouvelles exigences dans le fonctionnement de l’entreprise.
Le droit à l’erreur et la tolérance à l’expérimentation doivent devenir des principes à l’échelle de l’organisation. Plus spécifiquement, cela consiste à revoir le modèle classique de l’informatique (centralisé, centralisateur et « top-down ») pour permettre aux collaborateurs de développer des initiatives « bottom-up » avec des outils qui ne sont peut-être pas forcément en versions commerciales. Cela permet d’inoculer des innovations et d’intégrer de nouvelles expériences, de tolérer l’erreur en conservant un objectif d’excellence.
7. Penser l’implémentation de la technologie avec une vision à long terme
L’intégration technologique doit être envisagée avec une vision à long terme, ancrée à la stratégie et aux valeurs de l’organisation. Il s’agit dès lors de « sortir le nez du guidon », d’éviter le lancement de projets multiples tendant sans doute vers l’objectif de partage des connaissances mais qui ne font pas forcément partie d’un « programme» sous-tendu par un fil rouge clair et cohérent, avec une vision intégrée en termes de déploiement technologique.
Culture vs. Technologie : et le gagnant est…
A la question : « La technologie influence la culture d’entreprise… vraiment ? », nous répondons « Oui mais… »
Plus précisément, il est clair que l’on peut influencer la culture grâce à la technologie mais cela ne « coule pas de source » et est encore moins systématique. Pour aboutir à des résultats en termes de changement culturel, il est absolument nécessaire : (1) d’anticiper les risques et les opportunités, (2) d’avoir une perspective de gouvernance qui identifie clairement les principes, la politique, les règles, les indicateurs de succès et les rôles (3) d’accompagner le changement (en termes de « change management »), ce qui implique d’inclure les principaux acteurs impactés par le changement et d’assurer une excellente communication entre ces acteurs, les responsables du « Knowledge Management » et le top-management.
Contributeur : Arnaud LIEGEOIS – HR Strategy & Knowledge Manager – Solidaris (Mutualités Socialistes). Cet article est le fruit d’une réflexion collective dans le cadre du réseau des Knowledge Managers belges « Share is in the air » initié par Carmeuse et Fasttrack en 2015.