Cela arrive souvent. Nous reportons nos ambitions sur des collègues prometteurs. On ne peut tout de même gâcher de pareils talents ! Et ces derniers nous reviennent pour nous reprocher de leur imposer une courbe de développement à laquelle ils n’aspirent même pas. Pendant l’entretien d’évaluation, il faut entendre que l’on a peut-être mis la barre trop haut pour un collaborateur qui n’en a pas demandé autant. Dommage, triste, affligeant ? Prenons le temps d’y réfléchir… D’un côté, c’est l’essence même du leadership que de veiller à créer des opportunités pour celles et ceux qui nous entourent. De l’autre, nous avons la responsabilité de leur offrir un cadre à l’intérieur duquel ils ne vont pas se brûler les ailes. Alors, on fait quoi face à des talents qui ne veulent pas nécessairement aller vers la terre promise ?
Pour certains managers, cela reste difficile à concevoir mais c’est pourtant la réalité. L’ambition d’aller toujours un peu plus loin n’est pas forcément partagée. Faut-il dès lors renoncer à pousser les collègues qui présentent des atouts et semblent les ignorer ?
Tester les limites pour les repousser
Le (vrai) talent est une denrée rare. Pas question de le laisser filer lorsque nous le voyons poindre le bout du nez, parce que nous savons qu’il est indispensable de le faire fructifier. Le talent sans le travail ne représente pas grand-chose. Cela reste juste un potentiel. C’est en testant les capacités que l’on devine et en essayant de déterminer jusqu’où il est possible d’aller ensemble que l’on peut réaliser un potentiel. Dans ce sens, être porteur d’ambition pour autrui est hyper légitime.
Nous devons être attentifs car il n’est pas rare d’entrer rapidement en zone de souffrance… L’inconvénient majeur de la méthode qui consiste à prendre des risques et voir jusqu’où cela peut nous emmener, c’est la possibilité de l’échec. Il peut être douloureux, à moins que nous ne veillions à prévoir les amortisseurs pour rendre ce dernier supportable.
Se réaliser soi-même au travers d’autrui ?
Il y a un autre danger que nous pouvons facilement anticiper. A l’instar de nombre de parents qui projettent de réaliser leur carrière au-travers de leur progéniture, il peut arriver que nous versions dans le phénomène de transfert. Dangereux ? Oui. Emmener des collaborateurs vers des sommets où ils ne veulent même pas aller équivaut d’une certaine manière à nier leur liberté de choix… Il reste essentiel de garder une forme de distance, celle qui nous rappelle que nos projets et nos ambitions ne sont pas transposables. Elles restent personnelles. Au mieux, nous pouvons partager des perspectives, des chemins tracés inspirés par l’expérience, des opportunités à saisir au bon endroit au bon moment. Et proposer un accompagnement pour réussir à franchir de nouveaux paliers, les uns après les autres.
Provoquer des sauts quantiques
Nous sommes en effet convaincus qu’une des missions clés du leadership consiste à stimuler et entretenir l’ambition auprès de celles et ceux qui évoluent autour de nous. Le progrès passe par des phénomènes de rupture – la disruption, qui régit l’univers des start-ups ! – et nous sommes les mieux placés pour les rendre possibles. Nous savons que l’innovation n’est pas le fruit du hasard (hormis rares exceptions ?). Elle résulte à l’évidence du travail et du génie de l’humain et une part importante du rôle managérial concerne notre engagement sincère à créer les conditions pour que ces sauts quantiques puissent se produire. Pour cela, il faut donner sa chance à celui ou à celle qui présente les qualités requises, y compris lorsque il ou elle n’en a pas vraiment conscience.
Bien sûr, le risque inhérent au processus de développement forcé, c’est de récupérer des collaborateurs en mille morceaux. Que faire lorsqu’une de nos pépites explose en plein vol? Ce sont de grandes espérances déçues mais pas seulement… Il y a un temps à consacrer à l’analyse et à la reconstruction. Puis, un autre dédié à la recherche de nouvelles opportunités.
Le jour où nous arrêtons de chercher l’étincelle dans les yeux de nos collaborateurs en les poussant à grandir, il est probable que nous soyons devenus cyniques ou désenchantés quant à la notion de talent en elle-même. Il sera temps alors de changer de métier. Entre-temps, restons ambitieux les uns pour les autres.
Jean-Paul Erhard