Réjouissons-nous que les élections n’aient lieu qu’une fois tous les 5 ans désormais. Voir le monde du travail en général – et la question du temps de travail en particulier – instrumentalisé par des élus et des partis politiques qui n’y entendent pas grand-chose provoque chez nous un profond sentiment de tristesse. Il est regrettable que le vécu des travailleurs soit caricaturé à des fins électorales. Ainsi, écouter le ministre de l’Emploi répéter à l’envi que la réduction du temps de travail va dans le sens de l’histoire est irritant. L’affirmation est fausse et dangereuse à la fois. Il y a de quoi se demander s’il s’agit d’un déni de réalité ou plus simplement d’une promesse momentanée qui n’engage à rien, le temps de conquérir de nouveaux mandats valables pour un petit quinquennat…
La réduction du temps de travail inscrite dans le cours logique des événements est une idée fausse : elle entre en contradiction frontale avec la réalité quotidienne de celles et ceux qui travaillent dur pour développer notre économie (y compris en cumulant plusieurs jobs) et son principe fondamental de répartition.
Elle est dangereuse par ailleurs car elle tend à faire croire à nos concitoyens qu’il existe un modèle selon lequel le temps de loisirs qui leur est promis sera financé par des entreprises qui n’attendent que cela. La démarche creuse davantage encore le fossé qui existe déjà entre des employeurs engagés dans une quête de croissance solidaire et des travailleurs qui s’interrogent sur la nécessité de se lever pour aller bosser.
Il est temps que nous nous posions ensemble les vraies questions et que nous posions les fondations d’un marché du travail qui offrent une réponse à la fois aux impératifs économiques et aux besoins d’épanouissement de nos familles.
La réduction collective du temps de travail, la probable garantie d’un blocage définitif de la concertation sociale
Vouloir passer à une réduction collective de la semaine de travail à 4 jours sans perte salaire, cela reste une équation économique intenable. Après avoir absorbé le choc de l’indexation automatique des salaires sous le coup de deux années d’inflation galopante, les employeurs accorderaient une nouvelle augmentation des rémunérations de l’ordre de 20%? Et ce, dans un contexte où l’incertitude règne… Une telle mesure peut-elle faciliter la réintégration des 500.000+ malades de longue durée ? Non. Peut-elle faciliter les programmes d’intégration et de formation des demandeurs d’emploi dont les compétences ne répondent pas aux besoins ? Non. Peut-elle résoudre la problématique d’absentéïsme de courte durée avec laquelle nos organisations ont appris à composer ? Évidemment non… Elle risquerait de soumettre les équipes à un rythme de travail plus soutenu que ce qu’il n’est aujourd’hui pour celles et ceux qui sont impliqués. Et c’est aussi pour cette raison (pas seulement pour des motifs financiers donc) que toutes les fédérations patronales y seront opposées.
Besoin de flexibilité individuelle avant tout !
Dans la pratique quotidienne, la question de la réduction du temps de travail n’est pas non plus celle qui se pose avec acuité. L’adaptation des grilles horaires passe aujourd’hui par des solutions de flexibilité individuelle. L’introduction de la semaine de 4 jours dans le cadre d’un temps plein ne rencontre que peu d’intérêt auprès des travailleurs. Sans surprise. La taille limitée de la majorité de nos entreprises et l’inadéquation de cette formule à la question de l’équilibre privé/professionnel permettaient de prévoir cet accueil mitigé.
La quête de flexibilité individuelle devrait être au centre de nos préoccupations. Et avec elle, son corollaire immédiat, à savoir l’entretien d’une cohésion collective forte lorsque l’organisation en éprouve la nécessité.
Cela veut dire que nos équipes, forcément hybrides, se composeront à l’avenir de collaborateurs disposant d’un aménagement du temps de travail qui leur offre une conciliation optimale de leurs impératifs personnels et professionnels. Et que la planification des effectifs, soutenu par la puissance de l’IA, sera un processus clé pour les People Managers.
Financer une société de loisirs en menant un hold-up sur les ressources des entrepreneurs ?
Au-travers de la réduction collective du temps de travail, l’état désargenté veut vendre à la population une société de loisirs. Or, faute de ressources, il n’est plus en capacité d’offrir l’accès gratuit aux activités éducatives, culturelles, sportives,… Aussi violent que cela puisse sonner, la seule promesse concrète que l’état peut tenir actuellement via une réduction du temps de travail, c’est l’ennui!
Nous pouvons aisément comprendre qu’une société de loisirs sans augmentation du pouvoir d’achat n’est qu’une illusion. Parce que notre épanouissement personnel a un coût. Ce que nous évoquons ici, ce n’est plus cette idée rance qui prévoit qu’il faut ‘souffrir’ au travail pour mériter quelques instants de jouissance. Soyons réalistes. Les activités qui nous procurent du plaisir et qui nous permettent de créer des expériences uniques ont un prix que les pouvoirs publics n’assument pas.
Les entreprises doivent-elles accepter de les financer sans contrepartie, alors que bon nombre d’entre elles ne parviennent même pas à soutenir leurs frais de structure? Poser la question…
Le sens de l’histoire versus le sens des réalités…
Le problème que nous rencontrons est que le sens de l’histoire (et le marché du travail avec lui) a changé il y a quelques années déjà. Et une bonne part de nos élus ne semblent pas l’avoir pris en compte dans leur logiciel. Nous en voulons pour preuve qu’ils sont en incapacité de mettre à l’équilibre la gestion du secteur public dans son ensemble. Et il faudrait pourtant qu’un gestionnaire régulièrement pris en défaut soit également celui qui se voit chargé de définir le nouvel équilibre économique de nos entreprises? Comme si nous demandions à l’une de nos connaissances, réputée pour sa propension à brûler la chandelle par les deux bouts, quelques conseils pour adopter une bonne hygiène de vie… Sérieusement ?
Le monde du travail est hybride et nos gouvernements ont (au moins) un temps de retard. Le monde du travail se transforme chaque jour, sous le coup de l’innovation portée par des organisations qui cherchent de nouveaux équilibres entre la profitabilité économique et la responsabilité sociale. Des initiatives tantôt géniales, tantôt maladroites… Toujours intéressantes.
Jean-Paul Erhard
visuel : © ug ict – CGT