Pourquoi faut-il parier sur l’intelligence collective? Après tout, rien ne garantit lorsque nous mettons des personnes ensemble, dans une même pièce ou sur un même projet, que nous allons passer un grand moment sur le plan de la réflexion ou sur celui de la création… Les troupeaux sont souvent improductifs et parfois même stupides. Quel est donc ce précieux secret qui permet à l’équipe d’être plus forte que la somme des individualités ? Quelle est cette formule magique qui crée l’alchimie au sein d’un groupe et qui donne ainsi naissance à ce que nous appelons l’intelligence collective?
Il n’y a justement rien de magique dans la ‘fabrication’ de l’intelligence collective, même si le concept reste mal défini. ‘Partager des compétences et des connaissances au sein d’un groupe afin de résoudre un problème plus efficacement que s’il était abordé de manière individuelle’ comme nous pouvons le lire dans nos manuels de management. Cela semble si simple. La réalité du terrain est moins radieuse. L’intelligence collective est le fruit d’un effort important de notre part. Que devons-nous faire?
N’importe quel groupe peut imploser à chaque instant.
Il n’y a pas que des sentiments nobles, au sein de nos équipes et ce à quelque niveau que ce soit. La jalousie et l’envie existent. La fatigue et la peur s’invitent. Et il y a des tensions puisqu’il y est question de pouvoir. C’est la nature même des relations humaines de pouvoir provoquer des instants de grâce et, pour le même prix, de donner lieu à de pitoyables règlements de compte.
Celles et ceux qui regrettent que des humeurs diverses prennent le pas sur le but commun sont bien naïfs. Le collectif ne fonctionne que lorsqu’il y a un accord clair quant au partage dynamique des rôles et responsabilités ainsi qu’un contrat de confiance qui exige d’être renouvelé régulièrement, sur la base simple des résultats. Sommes-nous bien en phase quant au processus de prise de décision? Le leadership conserve-t-il toute sa légitimité? La contribution des un.e.s et des autres est-elle reconnue à sa juste valeur? Ces questions doivent être reposées au groupe lorsque les premiers signaux de délitement apparaissent.
Un énorme besoin de créativité !
Nos équipes ont par ailleurs grand besoin d’être bousculées voire réveillées régulièrement. Le principal danger auquel elles sont confrontées reste peut-être le ‘business as usual’. Changer les paramètres est devenu nécessaire dans un environnement qui craint la lassitude plus que tout. Bien sûr, le collectif se construit autour d’une série de repères et de rituels tels que ceux qui consistent à se retrouver systématiquement au même endroit et à la même heure, de temps à autre. Néanmoins, il s’ennuie rapidement lorsque la routine s’installe. Introduire de la nouveauté, c’est vital.
Attention toutefois à conserver des objectifs et priorités qui s’inscrivent dans la durée. Il ne s’agit pas de changer de cap afin de remobiliser les troupes. Ce dont il est question ici, c’est de renouveler fréquemment la manière d’interagir au sein du collectif.
Mettre les egos au service des autres egos.
Enfin, puisque nous nous imposons aussi d’aborder les sujets qui fâchent… Venons-en à la problématique de l’ego. Dans le sport, la recherche, l’économie et donc au sein de nos entreprises, réunir les meilleurs talents ne garantit ni le succès ni l’harmonie.
Pourquoi? Parce que nous veillons avant tout à faire briller nos meilleurs atouts au lieu de les mettre au service des autres. Pourtant, nous continuons à croire que des individus intelligents vont toujours trouver un terrain d’entente. Ce n’est pas le cas.
Nous pouvons changer cela mais soyons précis… Nous pensons en effet que la solution ne consiste pas à se mettre au service d’un ensemble ou d’un objectif commun. Trop abstrait. S’effacer derrière le collectif, c’est un principe générique, peu normé et difficilement mesurable. Une déclaration d’intention.
Nous pensons qu’il s’agit plutôt de se mettre au service des autres personnes. Un collectif en mouvement est avant tout une succession d’egos qui se partagent les feux de la rampe. L’alchimie consiste à trouver l’équilibre dans la manière dont chacun.e parviendra à se mettre en évidence. En clair, nous avons besoin que tous les egos s’expriment pour qu’il y ait du progrès. A chacun.e son tour, en fonction des circonstances et des besoins du moment. Pour cela, il faut accepter que chaque membre du groupe puisse prendre la lumière et, mieux encore, qu’elle ou il puisse bénéficier de notre soutien indéfectible au moment voulu.
Au fond, nous voulons installer deux principes clés pour que nos collectifs soient aussi intelligents que possible. Ce ne sont peut-être que des idées mais pourquoi pas… Ce sont les notions de ‘service’ et de ‘gratuité’. Il nous semble essentiel que le groupe reconnaisse la valeur intrinsèque de chacun de ses membres au lieu de leur demander de s’effacer à son profit. C’est la condition pour que ceux-ci puissent alors décider en conscience de se servir mutuellement lorsque nécessaire, sans attendre une quelconque contrepartie à négocier. Au fond, ce n’est qu’un appel, un de plus, à poursuivre ensemble des objectifs gratuits, et à (re)partager cette phrase essentielle: « le plaisir le plus délicat consiste à faire celui d’autrui… »
Jean-Paul Erhard