Les réactions et comportements des travailleurs salariés ressemblent de plus en plus à ce que l’on observe auprès des travailleurs indépendants. Des attentes fortes et partagées en matière d’autonomie et de prise d’initiative d’une part et un impératif de flexibilité maximale en complément, afin de pouvoir gérer au mieux l’équilibre privé/professionnel. Est-ce une conséquence logique du travail hybride? Une évolution profonde et lente des mentalités qui n’acceptent plus le principe et les arguments d’autorité? Une approche pragmatique et cohérente de la gestion d’une carrière ? Et puis surtout: faut-il encourager ou tempérer ces ardeurs? Réfléchissons ensemble…
Les ‘grandes’ vacances restant une période idéale pour se remettre en question, c’est ce que font les esprits éclairés dès qu’ils parviennent à se dégager des urgences du quotidien. C’est normal donc que les travailleurs s’interrogent sur la suite de leurs projets personnels et professionnels avant de reprendre le travail. Toutefois, du point de vue des dirigeants et des responsables RH, ces réflexions individuelles génèrent un chouia d’inquiétude et d’instabilité. Raison pour laquelle il est nécessaire de les comprendre.
Besoin de trouver un autre rapport au travail pour vivre toujours mieux
Le premier déclencheur, c’est souvent la question de l’équilibre entre les sphères privée et professionnelle. Celle-ci est la plupart du temps approchée sous l’angle du temps disponible, un temps à la fois matériel (le volume d’heures à répartir tout simplement) et mental (celui de la ‘connexion’ aux problématiques du boulot).
Si nous proposons de regarder cette question avec un œil nouveau – en l’occurrence, celui qui analyse en priorité la réalisation de soi et du collectif auquel nous appartenons -, notre lecture sera différente. Le temps de travail devient secondaire en effet et la notion de bien-être occupe enfin une position dominante. Cela ne veut certainement pas dire que la bonne gestion du temps de travail n’a plus d’importance. Au contraire, elle doit être optimisée pour que chacun.e puisse en tirer un maximum d’expériences positives et de plaisir. C’est un défi commun pour le management et les collaborateurs et sans aucun doute une réponse concrète à la question floue du sens au travail qui continue de hanter les conversations.
La loyauté à l’entreprise n’a plus rien à voir avec le statut du travailleur.
Deuxième dimension à prendre en compte : la loyauté. Cela fait quelques années que la communauté recherche les secrets de l’engagement des travailleurs indépendants vis-à-vis de leurs clients/employeurs. La situation évolue. Ce n’est plus un tabou aujourd’hui d’avoir recours à des travailleurs indépendants sur une base régulière. Les entreprises ne vivent plus dans la crainte de la requalification dès lors que les modalités de collaboration sont claires. Le signe d’un relâchement de la réglementation et de ses instances de contrôle? Non, pas forcément. Il est devenu ‘normal’ d’intégrer dans nos équipes des travailleurs réputés être des électrons libres. Et grâce à l’amélioration de nos pratiques managériales, nous avons appris à utiliser cette formule à bon escient.
La bonne nouvelle du jour pour celles et ceux qui en doutaient encore : les travailleurs sous statut indépendant ne sont pas tous des mercenaires. La loyauté, qui reste une barrière mentale lorsque l’entreprise envisage de ‘recruter’ des indépendants, ne s’obtient pas par la sécurité d’un CDI. Elle repose tout simplement sur le respect des engagements mutuels et sur une contribution positive au projet commun. Cela semble à la fois aller de soi et tellement nécessaire de le rappeler aujourd’hui encore. Bon à savoir donc : loyauté et liberté sont bel et bien compatibles.
Rémunérations, inflation et sécurité sociale…
Enfin, il nous faut bien parler d’argent… Le sujet n’est pas aussi délicat qu’il y paraît. Résumons: le choix des statuts ‘flexibles’, parmi lesquels celui d’indépendant, est aussi une manière d’augmenter ses revenus nets par le biais de l’augmentation de son temps de travail et de l’optimisation fiscale. Mais les entreprises qui utilisent cette forme de collaboration sont pointées du doigt pour non-contribution directe au financement de la sécurité sociale.
Nous pouvons sortir de ce dilemme en rappelant simplement que les travailleurs indépendants cotisent (et même lourdement, à condition d’être en règle) et qu’il est légitime que les travailleurs prennent la main en matière d’augmentation de leur pouvoir d’achat puisque nos pouvoirs publics restent inefficaces sur ce sujet.
Aussi, et puisque le statut devient de moins en moins pertinent pour offrir une protection sociale différente, nous pouvons intégrer dans notre cadre de réflexion actuel que l’aspiration à davantage de flexibilité et de liberté correspond à l’évidence à un besoin urgent d’amélioration des conditions financières de chacun.e.
A qui donc s’adressent ces opportunités d’évolution vers des statuts hybrides? Nous entendons parfois encore qu’elles ne concernent que les fonctions de management ou de top expertise. Ce n’est plus la réalité, sous l’effet entre autres de l’émergence de l’économie de plateforme.
Tous les niveaux de fonction peuvent désormais être concernés. Avec des risques de précarisation, il est vrai, lorsque l’énergie ou les compétences viennent à manquer (ce sera l’objet d’un de nos prochains éditos).
Nous sommes entrés dans l’ère de la confusion. Celle qui règne entre la sphère privée et la sphère professionnelle. Celle qui s’installe entre les statuts des travailleurs en quête de nouvelles opportunités et de variété dans leurs missions. Celle qui apparaît dans les comportements des travailleurs qui redéfinissent leurs relations à la hiérarchie et à la sécurité de leurs revenus.
Qui d’autre que nous, addicts à la beauté du People Management, pour organiser le chaos et tirer le meilleur parti de deux mondes que plus rien n’oppose ?
Jean-Paul Erhard