Les maux endémiques dans la vie quotidienne en entreprise? Manque d’efficacité et d’implication, non-respect des engagements, incapacité à adopter le point de vue de nos interlocuteurs… Le niveau de frustration monte encore et encore alors que les clients, fournisseurs, partenaires sociaux, actionnaires et collègues s’échangent des invectives. Pendant que les conflits se multiplient, nos collaborateurs cultivent l’art de la patience dans le meilleur des cas. Plus souvent, ils absorbent l’énergie négative qui se déverse dans leurs boîtes mail et la forwardent à qui voudra bien l’entendre lorsque cela déborde. Comment pouvons-nous compenser la violence des échanges dans nos relations professionnelles? Sommes-nous contraints et forcés d’évoluer dans cet environnement hostile?
Nous avons évoqué – c’était déjà l’été dernier – dans un éditorial précédent comment appréhender la gestion de l’agressivité (et de la douceur) dans nos organisations. A ce constat portant sur les relations tendues avec nos semblables s’ajoute une violence plus sourde s’exerçant sur le plan mental.
Affronter un flux absurde de sollicitations.
Répondre vite et bien aux sollicitations, c’est un résumé rapide du contrat social minimal qui organise les relations de travail aujourd’hui. L’intensité et la vitesse des communications (grâce à la multiplication des outils) sont telles que nous sommes à la fois sur-sollicités et attendus sur notre capacité à réagir. Nos jobs se résument souvent à réceptionner les demandes diverses et variées, à les réorienter vers les bons interlocuteurs pour une bonne partie d’entre elles, à procrastiner face à celles qui nous laissent perplexes et à tenter de faire avancer la barque pour celles qui rentrent vraiment dans notre périmètre de responsabilité.
Bref, nous passons notre temps à prendre connaissance et à commenter des infos et des données sur lesquelles nous n’avons pas de prise. Et les requêtes qui nous sont adressées sont souvent imprécises voire carrément inexactes, en plus d’être urgentes évidemment. Or, nous savons qu’une demande mal formulée ne peut engendrer qu’une réponse foireuse. Assez peu enthousiasmant, il faut en convenir. Faut-il dès lors continuer d’alimenter la roue de la médiocrité au risque de détériorer chaque jour un peu plus notre équilibre mental? La seule réponse identifiée à ce jour passe par la déconnexion… Un peu comme si nous remontions à la surface pour emmagasiner un peu d’air avant de replonger au fond du lac. Une courte respiration donc, mais pas davantage. Insuffisant.
Manuel de survie en milieu agressif
Si la santé mentale des travailleurs n’était menacée que par le volume et l’urgence des sollicitations, nous pourrions dormir tranquilles (ou presque).Ce serait toutefois oublier de prendre en compte leur agressivité de plus en plus prononcée… Comme si la seule option pour avancer ensemble dans nos projets consistait à fonctionner en mode ultimatum. La pression, l’invective, la menace sont courantes dans nos échanges entre personnes supposées bien élevées. La principale difficulté à laquelle nous sommes toutes et tous confrontées? Partager un point de vue est devenu une épreuve. L’interprétation tendancieuse de la règle et la mauvaise foi sont devenues des pratiques communes. C’est la raison pour laquelle les pétages de plomb se multiplient. Les conflits fatiguent nos organismes et notre mental. Ils nous contraignent à mobiliser toutes nos armes de défense puisque c’est notre intégrité et parfois même notre ’survie’ qui est en danger. Se déconnecter et opposer le silence à la menace ne suffit pas. Il s’agit en effet de mobiliser toutes nos intelligences afin de désamorcer l’agression, d’anticiper les réactions extrêmes et de proposer une alternative à ceux qui prétendent qu’il faut être excessif pour être entendu.
Eviter l’épuisement en investissant dans la relation?
Rien ne nous oblige à accepter la dérive agressive qui gagne le monde du travail. Comment réagissons-nous actuellement? Prendre des cours de communication non violente est devenu un standard, voire un impératif. Mais enfin, sans nier la pertinence de ce type de formation, posons-nous une simple question: est-ce vraiment dans cet environnement que nous voulons évoluer?
Vivre et travailler dans une logique conflictuelle est épuisant. Nous pouvons refuser d’entrer dans les confrontations que nos interlocuteurs nous proposent, sans fuir pour autant les problématiques à résoudre. Ici, on attend que nous convoquions la bienveillance et la gentillesse (et le joyeux retour des Bisounours dans le monde de l’entreprise…). Il doit bien y avoir d’autres voies à emprunter. C’est sans doute le moment d’investir dans la relation et d’accepter de consacrer le temps nécessaire à la communication. L’hypothèse que nous voulons partager est la suivante: nos difficultés à gérer le temps et les urgences constitue une des causes profondes de la montée de la violence dans nos échanges. De quoi devenir de nouveaux adeptes de la ‘slow life’? Pas encore. Pas vraiment. Il faudra cependant apprendre à se connaître (à se reconnecter donc, et à s’accepter) pour trouver nos futurs terrains d’entente, quitte à faire le constat courageux de temps à autre que nous n’avons rien à faire ensemble. Décider alors de ne pas collaborer n’est pas forcément une opportunité ratée. Cela peut aussi être un choix raisonnable et salvateur.
Jean-Paul Erhard