Imaginons que chacune de nos entreprises soit un village. Il y a dans chaque village des rôles emblématiques, ce que nous appelons aujourd’hui des ‘persona’s’: le bourgmestre bien sûr, l’enseignant, le boulanger, le flic, le juge, le guide spirituel (curé, imam, rabbin, grand maître… c’est comme vous voulez)… Notre question du jour sera basée sur cette analogie: au sein de votre propre village – de votre entreprise donc -, quel est selon vous le rôle ou le persona qui correspond le mieux à celle ou celui qui prend la responsabilité du People Management et des RH? De notre côté, c’est celui de l’agriculteur que nous voulons retenir. Celui ou celle qui nourrit les autres, qui cultive la terre et gère ses élevages en espérant jour après jour que la récolte sera fructueuse. Vous voyez l’idée? Explications.
Un métier noble et ingrat
Peu importe sa taille et son secteur d’activités, l’entreprise est un condensé de notre société, composé de personnes qui se retrouvent et vivent ensemble. Qu’y a-t-il de plus fondamental, au sein d’un groupe, que de cultiver et de nourrir? Il s’agit d’une mission noble… qui peut rapidement devenir un fardeau. Nous sommes concrètement responsables d’un territoire sur lequel nous essayons de servir nos semblables. Comment y arriver? Nous avons besoin de temps pour chercher les meilleurs dosages, pour voir pousser nos plantations et in fine, organiser la récolte avant de repartir dans un nouveau cycle. Et celui-ci se répète inlassablement, année après année.
Les résultats de nos efforts se mesurent bien sûr grâce à la satisfaction immédiate affichée par nos collègues. Ils s’évaluent aussi à la lumière du développement à long terme de ces derniers.
Cette double gestion du temps, çàd réussir à cumuler les court et long termes, est peut-être le coeur du People Management, au même titre que la conciliation des intérêts individuels et collectifs.
Plus vite, plus loin, plus fort… Quitte à perturber les équilibres naturels?
Être agriculteur aujourd’hui, cela n’a plus grand chose à voir avec la représentation du fermier à l’ancienne. C’est un ingénieur, soumis à des impératifs de productivité et à des (r)évolutions technologiques fréquentes. C’est aussi un acteur majeur de la durabilité. Les parallèles avec nos métiers nous semblent évidents. A l’heure où l’Intelligence Artificielle occupe toutes les conversations et que les data s’installent pour de bon dans le cockpit de pilotage de l’entreprise.
La technologie vient soutenir avec une belle efficacité notre recherche de productivité. Attention, cependant… A force de pousser nos ressources aux limites de leur rentabilité immédiate, nous savons que nous entamons sérieusement leur seuil de résistance à l’effort.
Accepter d’être soumis aux tempêtes et de tout perdre
Enfin, lorsqu’on sème quelques graines, c’est bien entendu toujours avec la perspective de voir éclore les semences et d’être au premier rang lorsque sera venu le temps de la récolte. Mais il n’y a aucune garantie. Tant qu’à verser dans la métaphore, le dérèglement climatique est une réalité. Les catastrophes ’naturelles’ sont de plus en plus nombreuses. Nous vivons exactement les mêmes phénomènes dans nos entreprises. Les tempêtes plus ou moins prévisibles se succèdent et menacent réellement la continuité des activités. Au gré d’une pandémie, d’un conflit international ou d’une crise énergétique, la gestion d’une entreprise est aujourd’hui la quête d’un équilibre fragile. Quant aux équipes qui vivent ces crises dans leur chair, elles envisagent de partir vers d’autres cieux qu’elles espèrent moins hostiles. Le risque de tout perdre est omniprésent. Il faut vivre avec et être prêt à tout reconstruire.
Le temps nécessaire pour devenir un bon people manager n’est pas uniquement celui qui consiste à accumuler du vécu et des expériences. C’est à la fois celui qu’il faut pour apprendre à faire face à toutes les éventualités (les catastrophes et les opportunités) ET celui dont nos collègues ont besoin pour récolter les fruits de ce que nous avons semé pour eux. Parfois, sous la pression des résultats, il arrive que nous perdions de vue la finalité de l’ensemble de nos efforts. Le bon sens fermier peut alors nous ramener dans le droit chemin. Le People Manager, à l’instar de son cousin agriculteur, est là pour cultiver et nourrir, au sens propre comme au sens figuré. Un rôle indispensable aujourd’hui et pour longtemps.
Jean-Paul Erhard