Egoîstes, auto-centrés, déconnectés des autres… Dans nos entreprises comme dans la vie quotidienne, il nous arrive chaque jour ou presque de pester contre les comportements asociaux de nos semblables. C’est une évolution de société, qui n’est certainement pas propre aux générations qui entrent sur le marché du travail. Toutes tranches d’âge confondues. Notre univers professionnel vit au rythme de la quête d’identité et de l’affirmation de soi à tout prix. Notre sphère privée aussi, je le crains, au mépris de toute pudeur. Au détriment de l’expérience collective surtout ?
Je ne pense pas qu’il existe un copyright sur les questions essentielles que nous nous posons. Toujours est-il que, dans un souci permanent de sincérité, il faut mentionner que celle-ci – Savons-nous encore être ensemble? – est posée par le philosophe Charles Pépin s’adressant en l’occurence à un groupe d’élites sportives préparant une grande compétition… Essayons de la traduire dans nos propres organisations et d’y répondre pour améliorer notre quotidien.
Est-il possible de réussir en solo?
Si le travail en équipe était la seule voie vers le succès, tous nos tourments seraient oubliés et nous serions tout simplement contraints à nous tourner vers les autres pour tendre vers plus de prospérité et de bien-être. Mais ce n’est pas le cas… Il est en effet possible d’atteindre les sommets par le biais d’un bel effort solitaire. Moins savoureux sans doute que lorsque l’on y arrive en troupeau, mais possible. Comme tous les plaisirs ‘solitaires’ , le succès individuel n’est ni durable, ni prometteur. Il n’ouvre pas vraiment de perspective additionnelle. Il contient en lui ses propres limites, à savoir les nôtres qu’elles soient physiques ou intellectuelles.
Ne nous trompons pas cependant: le culte de la réussite personnelle reste très présent dans les normes qui définissent notamment notre rapport au travail. « Y aller en solo » semble à la fois plus rapide et mieux maîtrisé. Cela ne favorise pas l’effort collectif. Il doit donc y avoir une dimension supplémentaire pour que la démarche qui consiste à s’unir dans une dynamique de groupe soit le choix privilégié.
Il faut plus que des intérêts communs pour créer un collectif
Pour créer une équipe, il faut lui proposer un but commun. Et mieux vaut dès lors que cet objectif fédérateur puisse contribuer d’une manière ou d’une autre à la réalisation d’ambitions personnelles également, ce qui reste le meilleur (et unique) moyen d’obtenir la motivation de nos semblables. Ce que nous savons aussi, c’est que ces intérêts partagés ne suffisent plus pour créer et installer durablement un collectif. Ils sont nécessaires mais ne remplacent pas les sentiments d’affection et d’amour qui ouvrent de nouveaux horizons. L’envie d’être ensemble et de se faire plaisir mutuellement ne se décrète pas. Elle se cultive au quotidien à force de loyauté, de réciprocité… et de résultats. Rien de mieux à ce jour que la célébration systématique des succès pour entretenir la joie de vivre et d’être ensemble.
Une ‘simple’ question de confiance ?
Se lier à d’autres personnes constitue un réel effort. Sous prétexte que nous sommes des animaux sociaux, nous devrions afficher une propension naturelle à aller vers autrui. Nous avons effectivement besoin du contact humain mais nous en avons peur aussi. Accepter de donner sa confiance et intégrer dans la même temps la possibilité d’être déçu. Le travail collectif nous demande bien plus que de répondre à un instinct naturel. Il requiert de notre part que nous exercions notre intelligence. Ce n’est pas évident pour tout le monde (il y a des cons partout, c’est indiscutable). Ce n’est pas évident tous le temps (forcément, il peut y avoir des ‘jours sans’…). Il s’agit d’un pari positif, celui qui consiste à mettre les intelligences individuelles au service de l’intelligence collective, sur la foi d’objectifs à atteindre ou d’une expérience humaine à partager, ou des deux puisque rien ne nous contraint à choisir finalement.
Bien sûr, le décision d’être ensemble nous appartient. Elle ne s’impose pas à nous comme une évidence.
La façon souvent disproportionnée dont les egos s’expriment dépend de la pression et des dangers que nous ressentons autour de nous.
Nous voyons qu’il faut se protéger, raison pour laquelle nous compensons souvent nos propres faiblesses par de l’agressivité. Nous voyons aussi qu’il faut développer sa propre visibilité en vue de se construire un storytelling glorieux.
Pourquoi donc? Il est vrai que les succès collectifs n’offrent pas toujours une reconnaissance immédiate et il arrive que les mérites ne soient pas attribués de manière équitable… Toutefois, ces réussites partagées créent des trajectoires uniques et inoubliables, qui nous enrichissent bien au-delà de notre propre histoire puisqu’elles nous permettent de rentrer dans celle des autres et de temps en temps, d’y laisser une petite empreinte.
Jean-Paul ERHARD