Les ‘pièges’ de carrière, ça existe… Dans nos choix personnels ou dans ceux que nous suggérons à nos collègues et collaborateurs, il arrive parfois que le trajet professionnel que l’on emprunte mène dans l’impasse. C’est le lot, entre autres, de la plupart de celles et ceux qui prennent la responsabilité des projets de transformation de leurs organisations. En fin de parcours, lorsque ces projets arrivent à destination, le temps est venu de partir et de laisser la place aux autres qui incarneront une nouvelle ère. Pourquoi ce destin funeste?

Parce que l’entreprise et ses collaborateurs se fatiguent vite des leaders et des experts qui les malmènent en les contraignant à passer par ces foutues zones d’inconfort. Ajoutons-y l’incertitude qui règne dans la plupart des secteurs d’activité… Un constat s’impose: il n’y a pas de futur garanti. Un mode d’emploi pour apprendre à disparaître et à se réinventer sans cesse?

Une sacrée responsabilité vis-à-vis des talents émergents

Il y a l’instabilité, les cycles économiques courts, l’impatience des actionnaires et dirigeants aussi… Il y a aussi une tension sociale forte, fruit de l’intolérance dont nous pouvons faire preuve les uns vis-à-vis des autres. Bref… Rien ne plaide vraiment en faveur de la stabilité.

Pendant ce temps, lorsqu’il y a un défi complexe à relever, nous voulons le confier à celui ou celle qui nous a laissé entrevoir un joli potentiel. Nous leur proposons alors des choix de carrière prometteurs, assortis de perspectives enthousiasmantes, tant sur le plan du développement personnel que sur celui de la progression dans l’organisation. Sans certitude aucune quant à la réalisation de ces perspectives et surtout, sans préparation d’un terreau favorable auprès des collègues.

C’est une sérieuse responsabilité que d’engager de beaux profils dans des trajets de carrière qui n’aboutissent que rarement aux résultats escomptés. Déception, sentiment de trahison, épuisement… Toutes nos entreprises gâchent des talents en les ‘cramant’ dans des projets (trop) ambitieux, sans même parfois leur laisser la possibilité de refuser d’y embarquer!
Pourquoi donc ? Parce que notre conception des carrières – que nous imaginons jalonnées d’exploits et placée sous le signe de la conquête du pouvoir – reste décidément beaucoup trop linéaire et ne correspond plus à l’évolution réelle de nos organisations.

Un statut d’expert mieux valorisé, sous certaines conditions…

Nous avons trouvé une solution positive afin de sortir du piège ! C’est ce que nous appelons les carrières d’experts, comme alternative à l’évolution programmée dans l’organigramme, celle qui passe par le management d’équipe et qui prévoit que le pouvoir se mesure au nombre de personnes placées sous notre responsabilité. Ce principe ancien reste cependant d’application dans bon nombre de structures, aujourd’hui encore, alors que l’expertise est appréciée quant à elle sur base de compétences pointues et d’une capacité à avancer en mode projet.

Cette voie parallèle – le statut d’expert donc – est de mieux en mieux valorisée désormais, à commencer sur le plan de la rémunération. Elle n’offre pourtant pas énormément de perspective au sein d’une entreprise, car les compétences – celles qui vous permettent de revendiquer un statut d’expert justement – évoluent très vite, au rythme de l’innovation technologique et des hypes managériales. La valeur ajoutée de l’expert – qu’il soit interne ou externe, peu importe – est très rapidement remise en question, qu’on se le dise. Il faut la démontrer jour après jour, encore et encore.

La reconnaissance ne délivre pas de totems d’immunité.

Applaudi le lundi… et dégagé le vendredi qui suit… C’est le destin (rare) de certains travailleurs qui se demandent alors ce qui a bien pu se passer et qu’ils n’ont pas vu venir. Oui, cela peut arriver.
Si cela nous surprend encore, c’est parce que la majorité des travailleurs tend à établir un lien logique entre reconnaissance et sécurité. Or, celui-ci n’existe pas! Lorsqu’un projet est terminé, nous passons sans état d’âme au suivant, et c’est d’une autre expertise dont nous avons alors besoin.

Qu’advient-il alors de celle ou celui qui vient de passer de longs mois voire quelques années à tirer l’organisation vers de nouveaux horizons?
La question est embarrassante car nos entreprises oublient souvent les collègues qui se sont investis sans compter, en prenant le pari de la reconnaissance et de la fidélité alors que la fin est programmée… L’histoire est ingrate. Souvent injuste, même.

Les plus audacieux d’entre nous prennent les devants et partent avant de subir une séparation douloureuse, prenant aussi le risque de partir trop tôt. Ils ont intégré la nature temporaire de nos fonctions, de nos rôles et de nos responsabilités. Ils ont compris aussi que les relations de qualité leur survivent dans tous les cas. Ils ont peut-être appris enfin qu’il est terriblement important de pouvoir se dire, dans la douceur et la sérénité, quelques mots simples, tels que ‘merci’, ‘au revoir’ et ‘à bientôt’…

Jean-Paul Erhard