L’ère des super-héros est terminée. Entre nous, y avons-nous vraiment cru ?… Ces représentations sur-naturelles nous ont inspiré pour aller chercher de la performance et des raisons de croire que tout est possible. Au boulot, cela donnait des travailleurs vifs, infatigables, déterminés, puissants… Des machines de guerre. Ce n’est plus ce que nous cherchons. Nous n’entrons pas dans une nouvelle ère car depuis quelques années déjà, la vulnérabilité – associée au leadership notamment – est considérée comme un atout. Aujourd’hui, c’est lorsque nous montrons nos faiblesses que nous devenons intéressants, voire inspirants. Le fruit d’une prise de conscience pour davantage d’inclusion? Une forme de lâcher prise ou d’abandon? Essayons de comprendre.
Les sportifs, par exemple, gagnent énormément en popularité lorsqu’ils montrent leurs failles. Ce qui s’explique par l’attrait du public pour celles et ceux qui échouent alors que le but est proche. Nous aimons les perdants magnifiques, bien davantage encore que ceux qui remportent les trophées sans l’ombre du moindre doute. Dans nos entreprises aussi, nous préférons les leaders qui laissent apparaître la possibilité d’une défaillance. Pourquoi?
Des preuves d’humanité dans un environnement bienveillant?
Même les super-héros sont confrontés à leurs petits moments de solitude. Ces faiblesses leur confèrent l’humanité necessaire pour que le processus d’identification puisse fonctionner. Ce sont des mécanismes similaires qui entrent en jeu dans nos entreprises. Nos défauts sont très importants lorsqu’il s’agit de nous définir (tout autant que nos qualités d’ailleurs). Toutefois, même s’ils contribuent très souvent à nous donner un certain ‘charme’, ils doivent pouvoir se ‘révéler’ dans une atmosphère empreinte de bienveillance.
Condition nécessaire en effet pour que nos faiblesses soient visibles: ne pas se trouver dans une jungle impitoyable. Le contexte est bel et bien une donnée essentielle. La culture dans laquelle nous évoluons doit ‘autoriser’ les imperfections voire même les manquements. S’il règne un climat où chaque faux pas peut être utilisé à nos dépens, le carnage est garanti. Le droit à l’erreur et à l’échec est à coup sûr un choix collectif ou il n’est pas…
Pendant ce temps, la jalousie et l’envie n’ont jamais été aussi prégnantes…
Regardons autour de nous: la réalité de notre monde n’est pas toujours réjouissante. Notre quotidien est agressif et franchement violent parfois (qui a dit souvent?)… A la source de cette tension palpable, il y a souvent une frustration qui gonfle face aux inégalités qui se creusent. Nous n’aimons pas le succès… des autres. Les profils forts sont considérés comme étant arrogants, ce qui suscite de temps en temps de l’admiration, mais plus souvent du rejet et dans tous les cas, de la crainte. La jalousie et l’envie sont des moteurs toxiques qui alimentent une logique de destruction visant celles et ceux qui entreprennent et qui réussissent. Il faut être fort et solidement ancré pour tenir le coup dans cet environnement. Exposer nos faiblesses dans cette ‘jungle’ justement, n’est-ce pas faire preuve d’une naïveté extrême? Cela consiste avant tout à faire le choix de la sincérité et à prendre le risque de voir débarquer une horde de psychopathes en quête de pouvoir.
Le droit d’être faible, à condition d’être aimable.
Poser le choix de la vulnérabilité repose en effet sur un credo finalement plutôt simple. Le postulat est le suivant: nous avons le droit d’afficher nos faiblesses à condition que celles et ceux qui nous entourent soient prêts à les accepter. Il ne suffit pas de croiser les doigts et d’espérer que le hasard aura bien fait les choses. Il faut également adopter un comportement adapté et entretenir des relations humaines qui vont aider nos collègues à accepter nos faiblesses.
Le théorème est connu: dans nos organisations, nous avons le droit d’être incompétent (de temps en temps). Nous avons le droit aussi d’être détestable (idéalement pas trop souvent). Mais nous n’avons pas le droit d’être à la fois incompétent et détestable. Ce qui veut dire? Nos faiblesses sont acceptables à partir du moment où l’attitude et le comportement que nous adoptons génèrent au pire de la compassion, au mieux de l’amitié et du soutien.
Bien sûr, il faut évoquer les principes de résilience et d’apprentissage continu pour que nous puissions transformer nos faiblesses en opportunités d’amélioration. Mais les nombreux ouvrages de développement personnel n’insistent peut-être pas assez sur la nécessité de choisir avec minutie les personnes qui nous entourent (nos collaborateurs, nos équipes, nos entreprises, nos partenaires…) pour que ces super-pouvoirs bien cachés puissent s’exprimer. La qualité de nos relations humaines est déterminante.
Au fond, ceci nous rappelle une des meilleures définition de l’amitié, jamais lue et entendue: « Un ami est quelqu’un que vous connaissez bien et que vous aimez quand-même. » Nos défauts font de nous des êtres uniques. A nous de les travailler pour qu’ils nous rendent aimables. Voilà peut-être une belle alternative au mythe des femmes et des hommes providentiels.
Jean-Paul ERHARD