Sommes-nous pressés d’avoir de nouveaux gouvernements? Malgré notre sens profond de la citoyenneté, la réponse est franchement… ‘non’. Prenez donc, mesdames et messieurs triomphateurs des élections récentes le temps de négocier de beaux accords. Et si cela doit prendre 541 jours à nouveau, ce n’est pas un souci… Pendant ce temps, le marché du travail peut poursuivre son chemin sans nouveau texte de loi. Et les entreprises, via leurs dirigeants et leurs départements RH, peuvent se concentrer sur des priorités autres que d’essayer de comprendre et d’intégrer de nouvelles réglementations qui alourdissent notre quotidien.
Ce n’est pas notre rôle de commenter l’actualité politique ni l’urgence éventuelle de voir un gouvernement lancer de nouvelles réformes. Toutefois, la vraie question à se poser est peut-être la suivante: y-a-t-il aujourd’hui un sujet relatif au marché du travail qui exige une refonte immédiate de notre cadre réglementaire? Revoir la loi de 1996 sur la modération salariale comme les syndicats l’implorent ? Repenser à nouveau notre système de pensions afin d’assurer sa durabilité ? Eliminer des calendriers scolaires asymétriques à l’échelle de notre micro-territoire et qui nuisent à la productivité des travailleurs ? Nous restons persuadés que le temps de la concertation sur ces sujets (comme sur d’autres) sera en décalage avec la réalité du travail. La preuve par trois exemples récents.
Exemple#1 – La semaine de 4 jours, une garantie d’épuisement à court, moyen et long terme.
Une des mesures les plus récentes et parmi les plus contestables en matière de réglementation du travail. Vouloir organiser des horaires à temps plein sur un rythme de 4 jours par semaine, ce n’est pas raisonnable. L’issue quasi certaine de cette approche ? Des équipes de plus en plus difficiles à planifier et des collaborateurs exténués qui profiteront de leur vendredi (ou quelque autre jour de la semaine) allongés sur leurs sofas pour récupérer d’un volume de boulot condensé sur une semaine raccourcie. Dans la pratique, cette mesure n’amène pas d’outil supplémentaire en matière de gestion. Elle veut réguler à posteriori une flexibilité qui existe déjà dans la pratique notamment pour les travailleurs qui ont accès au télétravail.
Exemple#2 – Le droit à la déconnexion, la mauvaise réponse à une bonne question
A-t-on jamais vu un collaborateur licencié pour ne pas avoir répondu à une sollicitation en dehors de son temps de travail ? Evidemment non. Pourtant, sous la pression du gouvernement précédent, les partenaires sociaux ont jugé utile d’inscrire le droit à la déconnexion dans la réglementation. Nous devrions nous interroger lorsque la loi semble nous contraindre à entrer en absurdie. Installer le droit à la déconnexion dans nos règlements de travail et dans la concertation sociale, cela consiste à infantiliser les travailleurs et nier de facto tous les efforts (et tous les progrès) réalisés en matière de bien-être dans nos entreprises. Nous savons que la question n’appartient pas à la sphère juridique. C’est de bon sens managérial dont il s’agit. Rien d’autre.
Exemple#3 – Le Federal Learning Account: impracticable et inutile.
Au début du mois de mai dernier, l’introduction d’un compte formation individuel assorti d’une obligation de formation se heurtait à l’incompréhension des partenaires sociaux. Plusieurs fédérations professionnelles ont depuis lors invité leurs membre à boycotter un dispositif que personne ne pourra ni mesurer ni contrôler d’ailleurs. A quoi bon ?
Le training on the job est-il comptabilisé ? L’aménagement du temps de travail et la participation de l’employeur à la formation continue sont-ils pris en considération ? Le coaching en développement personnel intervient-il dans le dispositif ? Nous pouvons poursuivre l’énumération et montrer à quel point nos politiques de formation sont plus abouties que les idées tardives du législateur.
Le droit social, dans son ensemble, court derrière la créativité des employeurs et de leurs collaborateurs. Ce que la réglementation et les esprits brillants qui la conçoivent tendent à oublier, c’est justement que les dirigeants, managers et travailleurs sont engagés ensemble dans la démarche qui consiste à organiser le travail. C’est un projet commun, une histoire partagée, une société dynamique qui bouge et se réinvente définitivement beaucoup plus vite que la réglementation. Et donc, merci de nous accorder une (petite) pause, svp.
Jean-Paul Erhard