Les changements d’orientation et de stratégie dans nos entreprises donnent l’impression que le monde a subitement changé. Il n’en est rien! Des alibis de contexte économique sont souvent utilisés pour justifier des impulsions égotiques ou des tentatives ‘désespérées’ de trouver la solution lorsque les résultats ne sont pas au rendez-vous.
Les effets sur l’engagement des collaborateurs sont destructeurs lorsque le cap change brutalement. Pourquoi ? Parce que le sens de l’urgence ne mobilise pas (durablement). Parce que les ruptures prennent du temps pour être digérées. Et parce que l’expérience nous montre que les cycles ont tendance à se reproduire (et donc il suffit d’attendre pour que tout redevienne comme avant…). Il y a une autre voie, celle qui consiste à privilégier le changement dans la continuité, avec un œil toujours attentif sur le moral et le bien-être de nos collaborateurs.
Ceci n’est pas un manifeste contre la gestion du changement. Bien au contraire… Tout change autour de nous et, de façon plus ou moins volontaire, nous nous adaptons tantôt pour survivre, tantôt pour rester sur le haut de la vague. Nous nous transformons au jour le jour, c’est dans l’ordre des choses. Mais nous constatons que les coûts humains sont très élevés.
Au cours de ces derniers mois, nous avons déjà écrit sur la rotation excessive que nous observons dans les fonctions de direction et de management ainsi que sur le stress généré par un focus excessif sur la nécessité de changer… L’enjeu est ailleurs aujourd’hui : voyons comment leadership et continuité peuvent faire bon ménage.
La continuité, ce n’est ni la stabilité ni l’immobilisme
Depuis que nous sommes entrés dans un monde où chaque ‘vérité’ est systématiquement contestée, le travail quotidien qui consiste à convaincre les équipes de nous suivre au bout du monde est un sacré challenge. Pour que celles-ci continuent de croire à la pertinence du projet, il faut respecter l’histoire à laquelle elles appartiennent.
Ce qu’attendent nos collaborateurs, ce n’est pas la garantie que rien ne va changer. Parfaitement impossible d’ailleurs et ils le savent.
Ce que la plupart d’entre eux espèrent, c’est qu’il y ait un rationnel construit à l’origine du changement et que celui-ci tienne compte de ce que nous avons été, de ce que nous sommes et de ce que nous serons.
Et ce qui les irrite plus que tout, c’est l’incohérence de nos errances stratégiques. Un coup de barre à droite, un coup de barre à gauche… (ça ne vous rappelle rien ?) et à la fin, il reste un trajet qui aurait pu éviter les errances, être linéaire et nous épargner bien des détours douloureux.
Compenser la fatigue et le désenchantement ambiant
Cela fait longtemps que nous n’avons pas rencontré un collectif qui ne montre pas de préoccupants signes de fatigue. Ce n’est pas un hasard si les thématiques de santé – mentale et physique – sont au centre de toutes les conversations.
Avec la multiplication des changements s’installe assez naturellement une forme de lassitude. Les signaux transmis par nos collègues sont plutôt clairs. Bien sûr, lorsqu’ils décrochent, nous trouvons des éléments déclencheurs qui viennent de la sphère privée. Et alors ? Est-ce une raison suffisante pour ne pas les entendre?
Le mal-être au sein des équipes exige que nous travaillions sur notre capacité individuelle et collective à encaisser les coups durs et à gérer nos efforts dans la durée. Car la fatigue représente un réel danger pour notre perception de la réalité. Chaque matin commence par une décision à prendre : il s’agit de choisir entre l’ombre et la lumière, entre la lourdeur et la légèreté… Et lorsque les batteries sont à plat, nous perdons souvent notre capacité à voir la vie (et le travail) en rose.
Leadership: l’incarnation de la prise de risques calculés
Finalement, qu’il s’agisse de construire un rationnel cohérent ou de gérer l’énergie des collaborateurs, c’est encore et toujours la qualité du leadership qui est au coeur de nos réflexions.
Pour que l’entreprise puisse (sur-)vivre, il faut qu’elle enchaîne les prises d’initiative. Il y a un double rôle à remplir pour celles et ceux qui en assurent le pilotage: d’une part, coordonner tous les projets afin qu’ils forment un ensemble cohérent et d’autre part, maîtriser les risques associés à chaque initiative. Lorsque le management surfe sur des orientations stratégiques hasardeuses avec pour seul argument la nécessité absolue de changer, la confiance n’est pas au rendez-vous. Il nous manque donc quelque chose. Mais quoi?
Un narratif commun qui permet de comprendre la logique des changements de stratégie. Pour que ceux-ci puissent être reçus comme une preuve d’agilité et non comme un signe d’instabilité chronique ou de perdition, il faut qu’ils s’inscrivent dans un continuum où chacun.e peut trouver sa place.
Bien sûr, les temps changent… Toutefois, il n’y a rien que nous ne puissions expliquer ni même anticiper. Il suffit pour cela de garder les yeux ouverts et les neurones agiles.
Les stratégies et les modèles organisationnels s’adaptent avec le temps et les tendances de fonds de nos sociétés. Les entreprises et leurs histoires, quant à elles, restent.
Derrière chaque projet collectif, il y a une idée et une force motrice qui sont constitutives de l’entrepreneuriat. Avec des hauts et des bas. Des succès et des échecs, la force d’une organisation résidant dans sa capacité à rester soudée dans la tempête.
Nous avons besoin de cette continuité. Celle qui met notre humilité à l’épreuve et nous protège des manifestations exacerbées des egos mal placés. Celle qui permet de regarder au-delà des intérêts immédiats pour voir plus loin, plus haut, plus fort.
Jean-Paul Erhard