L’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme était attendu. Au départ du cas d’un salarié roumain licencié pour avoir utilisé sa messagerie professionnelle à des fins personnelles, la décision concerne tous les salariés des pays membres du Conseil de l’Europe. Quelle frontière désormais entre vie privée et vie professionnelle dans l’utilisation des outils mis à disposition des travailleurs?
La Cour européenne des droits de l’Homme a tranché le cas d’un salarié roumain. Elle a décidé de sanctionner la surveillance des courriels privés par un employeur. En 2007, l’entreprise employant Bogdan Mihai Barbulescu, un ingénieur roumain, le licencie après avoir examiné son activité sur Internet. Dénonçant cette surveillance le salarié avait saisi les tribunaux roumains, sans succès. Il se tourne alors vers la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), en vain. En janvier 2016, celle-ci juge en effet que « la surveillance de ses communications par son employeur avait été raisonnable dans le contexte d’une procédure disciplinaire » et qu’elle ne violait donc pas l’article 8 la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance. Débouté, l’ingénieur roumain fait alors appel et la Cour a accepté de revoir la décision qui revient cette fois devant la Grande Chambre, la plus haute instance de la CEDH.
Ce mardi 5 septembre, les juges de la Grande Chambre ont considéré que «les autorités nationales (roumaines) n’ont pas correctement protégé le droit de M. Bogdan Mihai Barbulescu au respect de sa vie privée et de sa correspondance et n’ont donc pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts en jeu». Alors que la généralisation des outils informatiques et des moyens de communication contribue à brouiller la frontière entre vie privée et vie professionnelle, cette décision pourrait avoir des implications bien au-delà de la Roumanie, sur les salariés des 47 pays membres du Conseil de l’Europe.
Surveillance, big data, et vie privée…
Avec ce nouvel arrêt, les 17 juges de la Grande Chambre précisent les limites de la marge de manœuvre de l’employeur dans la surveillance des activités électroniques de leurs salariés.
Plusieurs gouvernements, tout comme la Confédération européenne des syndicats (CES) ont ainsi tenu à intervenir dans les débats en envoyant leurs propres observations à la CEDH, insistant sur la nécessité de mieux protéger la vie privée des salariés.
Dans certains pays européens, dont la France, certains organes imposent déjà des règles protectrices en la matière. Ils insistent notamment sur le fait que si l’employeur peut limiter l’usage personnel d’Internet, les salariés doivent préalablement « être informés des dispositifs mis en place et des modalités de contrôle de l’utilisation d’Internet ».
De même, si l’employeur peut avoir accès aux données stockées sur l’ordinateur du salarié, sa curiosité ne peut s’exercer à l’endroit de fichiers ou de messages clairement estampillés ‘personnels’. Ainsi, « il appartient à l’employé d’identifier les messages qui sont personnels. À défaut d’une telle identification, les messages sont présumés être professionnels ».
Source : Mathieu Castagnet – La Croix – avec AFP