Près d’un travailleur senior sur trois souhaite quitter le marché du travail… Pour quelles raisons?

Le taux d’emploi des travailleurs âgés de 55 à 64 ans a enregistré une progression remarquable. Cependant, selon les données du volet belge de l’enquête SHARE (Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe), près d’un travailleur senior sur trois souhaite quitter le marché du travail. La façon dont il perçoit son environnement de travail est un facteur déterminant à cet égard. Analyse proposée par les services de la Banque Nationale de Belgique.

Portrait des travailleurs âgés

Les politiques de mise à l’écart des travailleurs âgés visant à favoriser l’accès au marché du travail pour les plus jeunes, qui avaient été instaurées dans de nombreux pays dans la foulée des chocs pétroliers, ont été progressivement abandonnées. Elles ne donnaient pas les résultats souhaités et, surtout, raccourcir les durées de carrière professionnelle alors que l’espérance de vie continue d’augmenter contribue à créer des pressions sur l’équilibre à long terme des finances publiques et en particulier sur la soutenabilité du système de pension. Les programmes de sécurité sociale et les régimes de pension du monde entier ont dès lors été remaniés afin d’inciter à prolonger les carrières.

Le rapprochement progressif de l’âge légal de la retraite des femmes, qui était de 60 ans en 1997, vers celui des hommes (65 ans), est un exemple de ce type de réformes adoptées en Belgique. C’est toutefois à partir de la signature du Pacte de solidarité entre les générations en décembre 2005 que l’inflexion s’est réellement amorcée en Belgique. Les conditions d’accès aux différentes filières de retraite anticipée du marché du travail, la prépension conventionnelle et le système des « chômeurs âgés » en tête, ont été renforcées afin qu’à terme, le système de pension légale, éventuellement anticipée, demeure la seule voie de sortie ordinaire du marché du travail. Grâce à ces politiques d’activation et aux incitants à travailler plus longtemps, le pourcentage de personnes âgées de 55 à 59 ans occupées a fortement augmenté, passant de 5,5% de l’emploi total en 2002 à près de 12% en 2022. Pareillement, la proportion de personnes âgées de 60 à 64 ans ayant un emploi s’est accrue au cours de la même période pour passer de 1,4% de l’emploi en 2002 à près de 6% en 2022.

Les seniors sont surtout employés dans cinq secteurs : la santé et l’action sociale (16%), l’industrie manufacturière (12%), le commerce de détail (11%), l’éducation (10%) et l’administration publique (10%). La part de travailleurs âgés est relativement faible dans la construction, dans l’horeca, dans les technologies de l’information et de la communication et dans les arts et spectacles. Ce constat peut s’expliquer, entre autres, par la nature des tâches propres à chaque secteur (travail physique, horaires atypiques, etc.) ou par les compétences en perpétuelle évolution requises dans les secteurs de pointe. Les personnes actives au‑delà de 65 ans sont principalement occupées dans le secteur de la santé et le commerce ; elles travaillent majoritairement à temps partiel.

Outre l’évolution du contexte institutionnel (en particulier le démantèlement progressif des systèmes de retraite anticipée), travailler à un âge avancé nécessite d’avoir une santé suffisamment bonne et de disposer de compétences valorisables sur le marché du travail. Le niveau d’éducation moyen de la population est en constante amélioration en Belgique, ce qui se remarque au fil des enquêtes sur les forces de travail depuis leur instauration, en 1983. L’augmentation du niveau d’éducation initial a été l’un des moteurs de l’évolution du taux d’emploi, d’autant qu’un diplôme plus élevé est en général associé à une plus forte participation à la formation continue.

L’enquête sur les forces de travail donne un aperçu du statut socioéconomique à un âge donné. Ce statut autodéclaré peut ne pas correspondre au statut « officiel » de la personne. Comme attendu, la proportion de personnes de 50 à 64 ans occupant un emploi est à présent beaucoup plus élevée qu’en 2005, ce qui se vérifie à tous les âges. Parallèlement, la part des bénéficiaires de régimes de prépension ou de pension est en recul. En revanche, le pourcentage de personnes se déclarant malades ou invalides a également augmenté, à tous les âges, dans ce groupe.

Pour les seniors qui n’ont plus d’emploi, il reste difficile de retrouver le chemin du marché du travail. À peine 9% des nouveaux embauchés en 2022 ont dépassé l’âge de 50 ans. Ce niveau est nettement plus faible que dans les pays voisins. De même, les personnes de 59 à 64 ans restent surreprésentées dans les cessations d’emploi (fins de contrat et licenciements ou pertes d’emploi pour raison économique).

La qualité des conditions de travail qui sont offertes aux travailleurs âgés – des facteurs tels que le niveau de salaire ou la stabilité de l’emploi – place la Belgique relativement haut dans le classement européen. Cependant, ces facteurs liés à l’offre et à la demande de travail pour les travailleurs âgés ne sont qu’une partie du spectre. La perception des individus est tout aussi importante lorsqu’est évoquée la décision de quitter le marché du travail.

Les déterminants du départ (souhaité) à la retraite

Les décisions liées au départ à la retraite sont influencées par une combinaison de facteurs, dans laquelle la perception des travailleurs, que ce soit de leur santé ou de l’environnement de travail, joue un rôle clé. Pour aborder ce sujet, nous utilisons les résultats de l’enquête SHARE (Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe), qui est menée auprès de personnes âgées de 50 ans et plus. Cette enquête aborde différents aspects de la vie des travailleurs plus âgés et des retraités tels que leur état de santé ou l’historique de leur carrière professionnelle. Les questions de l’enquête qui cristallisent notre attention concernent le moment (souhaité) du départ à la retraite.

Examiner l’âge de la pension nécessite de distinguer l’âge légal de la retraite, l’âge effectif auquel la pension est prise et celui auquel les travailleurs s’attendent à quitter le marché du travail. La Belgique est connue pour présenter un écart substantiel entre l’âge effectif et l’âge légal de la retraite. Si ce dernier est de 65 ans à l’heure actuelle (il atteindra 67 ans d’ici 2030), les retraités indiquent que leur sortie du marché du travail s’est opérée en moyenne à 61 ans. Les vagues successives de l’enquête dévoilent une hausse de l’âge moyen auquel les travailleurs s’attendent à prendre leur retraite (anticipée).

Pour comprendre pourquoi l’âge effectif est relativement bas en Belgique, nous analysons les raisons qui conduisent un travailleur senior à quitter la vie active. La littérature économique a isolé plusieurs facteurs influençant la décision ou l’intention de départ à la retraite, tels que l’âge du travailleur, son niveau d’éducation, son statut professionnel et celui de son éventuel(le) partenaire, son état de santé ou son environnement de travail. Notre analyse se penche davantage sur le lien entre la perception des conditions de travail et les anticipations quant au départ à la retraite.

D’une part, les seules variables influençant significativement la probabilité de sortie effective du marché du travail sont celles qui déterminent l’accès à la pension légale, c’est-à-dire l’âge de la personne et la durée de sa carrière. D’autres variables, bien que considérées dans nos estimations, n’ont qu’une incidence plus marginale. Ce constat va de pair avec le fait que près de trois quarts des retraités indiquent que l’accès au système de pension légale a été une raison clé à la base de leur départ à la retraite. Pour certaines personnes, un retrait s’est imposé avant 50 ans et dans ces cas de figure, les personnes ayant un historique de santé fragile, des blessures physiques ou des emplois physiquement exigeants sont surreprésentées.

D’autre part, l’enquête explore également l’intention de prendre sa retraite dès que possible, révélant un paysage multifactoriel avec une forte hétérogénéité parmi les répondants. Des périodes d’études plus longues, le statut d’indépendant et un état de santé perçu comme excellent sont associés à des attentes de retraite plus tardives. Inversement, le mécontentement au travail émerge comme un puissant incitant à prendre sa retraite tôt.

La probabilité d’un travailleur moyen d’être démotivé à continuer de travailler augmente de 30 points de pourcentage s’il est mécontent de son emploi. Les aspects négatifs de la relation employeur-employé, tels que la pression des délais et le manque de soutien de la hiérarchie dans des situations difficiles, influent sensiblement sur la motivation des travailleurs âgés. Le manque de reconnaissance, un salaire perçu comme inadéquat ou la pénibilité physique d’un emploi pèsent aussi sur la volonté de continuer à travailler, mais leur influence est moindre. Le lien entre la volonté de quitter le marché du travail et ces aspects liés à l’environnement de travail est plus fort en Belgique que dans des pays comparables tels que la France, l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Suède.

Les enquêtes SHARE menées durant la crise du COVID-19 ne montrent pas que la pandémie a changé la donne en matière de décisions de retraite. Si certaines personnes ont pris leur retraite plus tôt durant cette période, cette décision était surtout guidée par des facteurs non liés à la pandémie. Cela suggère que les motivations préexistantes continuent de jouer un rôle fondamental dans les choix de retraite.

Sur le front des politiques économiques, ces enseignements sont importants en ce qu’ils confirment le fait que l’élévation de l’âge de la pension passe inéluctablement par une meilleure intégration des travailleurs âgés dans l’environnement de travail. Les réformes qui rendent plus difficile l’accès à la retraite ou à la préretraite peuvent se révéler inefficaces si elles ne vont pas de pair avec un renforcement de l’offre et de la demande de travail dans ce segment d’âge. Les mesures visant à améliorer les conditions de travail ou l’employabilité des travailleurs âgés, sur les plans des compétences et du coût relatif, sont donc des outils précieux pour l’augmentation de leur taux d’emploi.

 

Source: BNB – Banque Nationale de Belgique – Revue économique de 2023

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