Il n’y a pas de grande question quant à ce qui doit figurer au sommet de l’agenda RH de la rentrée. C’est sans aucun doute la santé mentale qui est solidement installée en tête du peloton des priorités. Sous le triple effet de la fatigue post-covid, du stress généré par une inflation incontrôlée et d’une charge de travail qui s’adapte au retour de la croissance, de très nombreux travailleurs présentent des signes inquiétants quant à leur équilibre mental et physique. Une situation logique (dans le sens où tout ceci était plutôt prévisible) et parfaitement acceptable. Une situation dangereuse aussi. Essayons de comprendre pourquoi, en trois temps comme souvent.
1. Les évidences du malaise.
La détérioration du bien-être mental des troupes est une réalité… Nous devrions pouvoir nous entendre sur ceci. A l’origine de ce ‘phénomène’, la
durée d’une crise qui se caractérise par un enchaînement terrible de ‘problématiques’ qui se succèdent voire qui s’accumulent. Confinement, travail à la maison, isolement, efficience, charge de la sphère privée, coûts de l’énergie, précarité…. La liste peut déjà nous sembler interminable et elle n’est certainement ni exhaustive ni terminée. D’où cette sensation désagréable d’être engagé dans un cercle vicieux apparemment sans fin… L’impact sur la santé mentale provient d’une part de l’absence de parenthèse… et d’autre part, du questionnement autour de la nécessité / pertinence de s’impliquer davantage pour répondre à la demande et de voir les résultats de notre travail anéantis par la prochaine catastrophe… Démoralisant. Usant. Désespérant même pour certain.e.s d’entre nous.
2. Avoir un impact concret et positif
Entre-temps, nos entreprises, et leurs départements RH, ne sont pas des experts en santé mentale. Est-ce qu’il leur appartient de se ‘mêler’ des questions souvent compliquées qui touchent à l’équilibre personnel, psychologique voire affectif de leurs travailleurs? La manière dont les vies privée et professionnelle sont imbriquées aujourd’hui plaide pour que l’entreprise se préoccupe de la question. Celle-ci est peut-être même d’ordre moral… Elle concerne notre responsabilité collective. En tant que ‘société’ (au sens de ‘groupe d’individus), pouvons-nous nous permettre de voir et laisser tomber celles et ceux qui nous entourent? La réponse est non. En tant que société, avons-nous le droit de nous impliquer dans la vie quotidienne de ces mêmes personnes? La réponse est non. Mais, en tant que société, nous avons certainement le devoir de prévenir et d’éviter les drames personnels et de gérer l’impact que le travail peut avoir sur l’écosystème de chacun. Chaque différence positive et concrète, aussi minime soit-elle, dans la réalité concrète de nos collaborateurs vaut la peine d’y consacrer notre attention et nos efforts.
3. Vers une nouvelle dictature du bien-être ?
Attention cependant car il est bon de rappeler que nous sommes déjà passés par là il n’y a pas si longtemps que cela… Au début des années 2010, la vague du bonheur au travail, dans laquelle nous nous sommes engagés avec enthousiasme, a été rapidement brisée par ses propres contradictions ou paradoxes. Les opposants ont pointé sans ménagement le côté dictatorial de cette injonction au bonheur, à priori incompatible avec la liberté de choix et le sens critique de chacun.e.
En plaçant aujourd’hui la santé mentale -un domaine forcément présent dans les sphères privée et professionnelle – au top des priorités RH de l’entreprise, nous prenons sans doute le risque d’imposer un modèle de bien-être là où chaque collaborateur devrait pouvoir déterminer comment il souhaite aborder la question. Le danger est réel: la liberté de penser et d’organiser notre travail n’a jamais été aussi grande et elle comporte des risques de dérive super importants.
Les dirigeants et responsables RH peuvent-ils dès lors ‘imposer’ que nous prenions soin de nous-mêmes et que nous veillions les un.e.s sur les autres? Notre réponse est oui. Cela va bien au-delà du principe de précaution. Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la survie d’un mode de vie où le travail représente un point d’équilibre important et nous permet d’assurer le fonctionnement d’une économie sans laquelle la solidarité en faveur de celles et ceux qui souffrent ne peut s’exercer. C’est aussi le meilleur moyen d’offrir à chacune et chacun de nos collaborateurs une expérience qui vaut la peine d’être vécue.
Jean-Paul Erhard