Conséquence quasi immédiate de la fin du gel des salaires et de la reprise économique, la tension salariale, c’est-à-dire l’écart entre les salaires les plus élevés et ceux les plus bas, figure à son niveau maximal de ces six dernières années. En 2017, la tension salariale a fait un bond de 2,72 à 2,81.
Les chiffres du SPF Économie ont révélé qu’en 2015, la Suède avait la plus faible tension salariale. La Belgique suivait en 3e position. La France, les Pays-Bas et l’Allemagne étaient respectivement 7e, 8e et 21e. Acerta a calculé la tension salariale pour ces dernières années sur la base des données de l’ensemble des travailleurs de ses plus de 40 000 employeurs issus du secteur privé. Les intérimaires et travailleurs saisonniers ou occasionnels n’ont pas été repris dans l’étude.
Catherine Langenaeken, Consultant Legal & Reward d’ACERTA Consult : « La tension salariale est un élément indispensable. La liberté de négocier la rémunération crée sur le marché du travail une dynamique souhaitable. Enfin, le marché du travail est un marché corrigé où le prix du travail se négocie. La condition est toutefois de bien veiller au seuil inférieur : les salaires les plus faibles ne peuvent pas être trop bas. En Belgique, les salaires minimums sont fixés par les partenaires sociaux dans les Commissions paritaires. Les salaires qui y sont établis sont, à une exception près, toujours supérieurs au salaire minimum fixé à l’échelle nationale. Par ailleurs, il existe un risque réel d’impact sur les travailleurs issus du marché si les salaires les plus bas sont trop élevés. À un moment donné, il devient plus intéressant d’automatiser le travail effectué par ces travailleurs ou de le faire exécuter à l’étranger. Les pouvoirs publics interviennent pour les travailleurs à bas salaire : d’une part, en donnant aux employeurs pour ces travailleurs une diminution des charges faisant baisser proportionnellement le coût salarial ; d’autre part, en donnant aux travailleurs un revenu net disponible plus élevé, par l’octroi d’un trajet brut-net plus avantageux. »
La tension salariale la plus élevée en 6 ans
Ces calculs révèlent une augmentation progressive de la tension salariale en Belgique.Que nous considérions le marché du travail dans son ensemble, ou les ouvriers et les employés séparément, ou les hommes et les femmes, les régions, les secteurs… Dans tous les cas, un constat frappant est le grand bond réalisé par la tension salariale en 2017. Quels sont les facteurs expliquant ce phénomène ?
Les travailleurs à plus-value profitent de l’attractivité économique. Ils obtiennent davantage de possibilités d’exercer des fonctions mieux payées auprès de leur employeur actuel. Dans bon nombre d’entreprises, la rémunération variable est influencée par les résultats économiques de l’entreprise : si une entreprise obtient de bons résultats, les bonus qu’elle octroie à ses collaborateurs augmentent. Le boom accroît également la mobilité professionnelle, les travailleurs tendant l’oreille ailleurs. Ceci afin d’estimer leur propre valeur, chose à laquelle ils peuvent alors confronter leur employeur. Ou ils essaient effectivement de s’améliorer ailleurs. La guerre des talents joue en faveur de ces travailleurs au profil rare, mais hautement sollicité. Ils peuvent faire valoir leurs atouts, ailleurs ou auprès de leur propre employeur.
Parmi les ouvriers, la tension salariale est plus faible. Différentes causes expliquent ce phénomène. Par rapport aux employés, les salaires des ouvriers sont davantage négociés au niveau collectif ; les occasions de négociations salariales individuelles sont plus rares. Le ‘poids spécifique’ des fonctions d’ouvriers est également moins varié, alors que parmi les employés, il existe une plus grande diversité de ‘classes de pondération’, avec pour conséquence des salaires plus éloignés les uns des autres. Les ouvriers prestent aussi plus rapidement à leur niveau maximum ; leur courbe d’apprentissage et de croissance est plus courte. Enfin, les travailleurs qui délivrent du travail manuel hautement qualifié sont souvent ‘récompensés’ par un contrat d’employé.
Autre inégalité: une tension salariale plus faible chez les femmes
Si nous comparons la tension salariale d’une employée ou d’une ouvrière à celle de son homologue masculin, la tension salariale chez les femmes est systématiquement sensiblement inférieure. Les hommes ont-ils des profils plus rares, leur conférant davantage de marge de négociation ? Les femmes sont-elles moins actives au niveau des négociations salariales ? Et celles qui négocient bel et bien sont-elles dès lors plus conciliantes ? Dans tous les cas, l’écart de tension salariale est un élément dont employeurs et travailleurs ont davantage conscience. Une tension salariale trop faible ralentit la dynamique, chose néanmoins souhaitable en des temps de boom. « Les femmes se défendent bien sur le marché du travail. Aujourd’hui, plus de femmes que d’hommes terminent leurs études avec un diplôme de l’enseignement supérieur. Il n’existe pas non plus de bonne raison justifiant qu’elles n’exprimeraient pas de plus hautes attentes salariales envers leur employeur. »
Le secteur non marchand épargné par le phénomène ?
Lorsque davantage de conventions collectives sont créées, lorsqu’il y a moins de marge pour des bonus et lorsque les facteurs économiques jouent un rôle moindre, on peut s’attendre à une tension salariale plus faible. En comparant par exemple le secteur marchand et le non-marchand, nous constatons effectivement entre les deux l’écart attendu : une tension salariale plus faible dans le non-marchand que dans le secteur marchand.
« La tension salariale dans le secteur non-marchand est inférieure à celle du marchand. En effet, dans ce segment aussi, on trouve un grand groupe de travailleurs qui exercent une profession en pénurie. On s’attendrait donc à ce que cette pénurie augmente la tension salariale. Or, dans le non-marchand, le rôle limité de l’économie réfrène le jeu de l’offre et la demande. Un jeu plus libre de négociations salariales pourrait augmenter l’attractivité de la profession, mais un non-marchand plus cher est en contradiction avec le rôle social de ce secteur. Nous constatons en revanche que ce secteur commence, lui aussi, à miser sur des packages salariaux composés, non pas uniquement de simples éléments pécuniaires, mais de façon plus créative. Ainsi, des vacances supplémentaires sont par exemple également considérées comme un aspect lié à la rémunération. Cette créativité peut rendre plus intéressante la conduite de négociations salariales individuelles dans le non-marchand également. D’ailleurs, le marché du travail évolue partout vers une redéfinition de la notion de « rémunération », avec des facteurs ne se traduisant pas tous facilement en euros. Cette évolution aura assurément un impact sur la tension salariale à l’avenir. »
Source : Acerta