Quelle est cette frénésie qui nous pousse à vouloir à tout prix rebattre les cartes alors que la partie est loin d’être terminée? Ne devrions-nous pas avoir pour objectif de revenir aussi rapidement que possible à la situation d’avant, aussi imparfaite soit-elle… Il y a en tout cas bien d’autres priorités à adresser dans le quotidien des travailleurs, avant d’essayer d’imaginer ce que seront nos relations et nos environnements de travail demain? Les besoins auxquels il faut répondre ne concernent pas l’avenir. Ils forment le présent, le quotidien de chacun d’entre nous. Et ils sont le fruit d’inégalités installées depuis longtemps et cruellement remises en lumière par une crise sanitaire implacable.
Comme de nombreux parents, je me souviens être allé chercher ma descendance le 13 mars 2020, pour la ‘ramener’ à la maison puisque les portes de l’université resteront fermées au minimum pour les 3 semaines qui viennent. L’occasion de revenir à la maison et de se dire, ensemble, que finalement, peut-être cette courte pause peut nous faire du bien, à toutes et à tous, en attendant que la diffusion de l’épidémie s’essouffle. Douze mois plus tard. Nous en sommes toujours là. Et le moment pourrait être opportun pour nous interroger sur ceci: qu’avons-nous fait de cette année écoulée?
Nos expériences personnelles nous construisent, non seulement en tant qu’êtres humains, cela va de soi, mais aussi en tant que ‘professionnels’ dans nos sphères respectives. Cette ‘mise sur pause’ contrainte aura-t-elle modifié notre rapport au travail, ainsi que notre façon d’appréhender la gestion de nos équipes, puisque cela reste l’object central de nos conversations? Impossible d’y répondre aujourd’hui. Il est trop tôt, beaucoup trop tôt…
Bien sûr, certains ne manqueront pas de nous rappeler à quel point il est important de donner de la perspective, d’aider chacun à se projeter vers un futur positif afin de pouvoir tenir le coup. Ils n’ont pas tort. Mais ils oublient qu’il est au moins aussi essentiel de poser une analyse objective quant à la manière dont nos entreprises ont oeuvré sur le plan humain au cours de ces douze derniers mois.
Nos collaborateurs ont-ils eu des raisons de se réjouir de ce que leurs employeurs ont fait pour eux? Cela nous semble au moins aussi fondamental. Et seule une réponse positive à cette dernière interrogation nous permettra d’affirmer que cette première année passée sous l’emprise de la pandémie n’aura pas été perdue.
Après l’urgence – puisqu’il a fallu s’adapter à ces nouvelles normes de distanciation sociale -, avons-nous pris soin les uns des autres? Cela veut dire, entre autres : garantir que la dynamique d’apprentissage ne soit pas interrompue; aider à gérer sainement notre rapport aux réseaux sociaux; veiller à compenser l’intrusion violente du travail dans la sphère privée afin qu’elle reste supportable dans le cercle familial; assurer une communication simple, lisible et fréquente; organiser des moments de rencontre forcément nécessaires, ré-apprendre la patience à celles et ceux qui vivent en permanence dans l’immédiat…
Il ne faut pas réinventer le travail, ni à élaborer de nouvelles stratégies en matière de People Management. Aujourd’hui, trop de gens souffrent d’une réalité qu’ils ne sont ni préparés ni armés à affronter. Ils sont prioritaires. Rappel utile donc : le coeur du métier, c’est de prendre soin (cette fameuse société du ‘care’). Il faut donc faire le job sans délai. Appliquons nous à faire ce pourquoi nous sommes là. Ce sera déjà beaucoup.
Avec le bon sens qui les caractérise souvent, nos anciens n’hésitent pas à nous rappeler que le temps qui est passé est perdu… Bien sûr, ils ont raison. Cette année est bel et bien perdue, sauf si nous décidons d’en sortir en nous dotant d’un rapport simplifié au temps, aux autres et au travail. Ainsi, la période que nous vivons porte en elle une obligation morale pour les dirigeants d’entreprise et particulièrement pour les professionnels du People Management: il s’agit pour nous de rendre simple un univers bourré de contradictions. Nous devons aider chacune et chacun à comprendre pourquoi nous devons nous éloigner de ceux que nous aimons, pourquoi il faut penser collectif lorsque les autorités nous demandent de rester chacun chez soi, pourquoi il est important de privilégier le temps long dans un moment où nous voudrions profiter de l’instant présent puisque tout nous rappelle que la mort est certaine…
Jean-Paul Erhard