Chaque nouveau gouvernement procède à sa réforme du marché du travail en se choisissant une obsession momentanée : les chômeurs de longue durée, les travailleurs en incapacité difficilement ‘réintégrables’, les jeunes en difficultés d’insertion… Pendant ce temps, quelle que soit l’orientation politique au pouvoir, le phénomène d’absentéïsme se développe et nos entreprises tournent avec des effectifs souvent déforcés qui doivent absorber une charge de travail mal répartie. Les réformes s’enchaînent donc, et pendant ce temps, nous continuons à faire semblant de ne pas comprendre qu’une tranche de plus en plus importante de la population active se détourne du monde du travail. Parce qu’elle n’encaisse pas le choc de l’augmentation nécessaire du temps de travail.
Carrières plus longues, travail hybride, horaires flexibles, charge psycho-sociale… Les travailleurs absents disent NON, tout simplement. Le bras de fer est engagé et aucune réforme du marché du travail, du moins telle qu’envisagée actuellement, ne permettra d’en sortir.
Le focus sur le taux d’emploi à 80%, c’est un principe auquel on peut adhérer sur le plan macro-économique. Cela reste incontournable pour le financement de la sécurité sociale. Toutefois, cela ne signifie rien en matière de réalité du terrain.
Les problématiques de réintégration des malades de longue durée, d’insertion des demandeurs d’emploi éloignés du marché du travail et du recul de l’âge de la retraite sont présentes. Et nous les abordons avec des logiques coercitives. Avec quel impact jusqu’à présent? Aucun. Pourquoi ?
Absentéïsme galopant, la traduction d’un désaccord profond qui reste caché…
Un constat froid et clair en ce qui concerne la multiplication des absences au travail : le phénomène est structurel. Il s’est ‘inscrit’ dans le fonctionnement de nos entreprises. Un employeur avisé prévoit désormais dans sa gestion d’exploitation une part significative de travailleurs (qui va de 5 à 15% dans les cas extrêmes) qui seront rémunérés et/ou protégés sans participer à la bonne marche des activités. Inconcevable et pourtant bien réel.
Cette dimension ‘structurelle’ est dérangeante. Si nous parlons d’absences prévisibles, c’est l’exercice de la responsabilité qui permet de les éviter qui doit nous préoccuper en tout premier lieu! A partir du moment où nous savons que cela va se produire, il y a une possibilité d’agir sur le plan managérial pour contrecarrer le caractère inexorable de la situation. Un travailleur absent représente avant tout une personne qui manifeste – physiquement, mentalement ou moralement parfois – son désaccord avec ce que son employeur lui propose. Il suffit de comprendre – et décider de gérer – ce décalage, d’une manière ou d’une autre.
Ré-intégration des absents de longue durée, un problème de société ?
Il y a par ailleurs le cas ‘spécifique’ du retour au travail des malades de longue durée. Même si cela heurte certaines sensibilités, nous sommes prêts à prendre le pari que nous atteindrons, pour le seul territoire belge et avec une population active légèrement inférieure à 5 millions d’individus, le cap terrible des 600.000 personnes éloignées du travail depuis longtemps pour cause de maladie.
Les chiffres sont cruels. La thématique est considérée comme un problème de société et un enjeu de santé publique. Et le rôle des employeurs dans tout cela?
L’approche récente visant à sanctionner financièrement les entreprises qui ne mènent pas les trajets de réintégration imposés ne délivrera pas de résultat. Pas davantage en tout cas que les mesures précédentes.
Le travail à mener concerne nos entreprises et leurs aptitudes à créer de nouvelles fonctions dans leurs organigrammes et à bosser sans relâche sur les questions liées à la pénibilité et au bien-être.
Attention cependant : nous aurons progressé sur le sujet dès que nous serons sorti d’une vilaine hypocrisie, celle qui consiste à laisser croire qu’il y a un poste adapté pour chacun.e. Ce n’est malheureusement pas le cas… Nombre de travailleurs malades de longue durée ne sont simplement plus aptes à exercer leur métier. C’est là qu’interviennent nos dispositifs de sécurité sociale conçus pour les aider à mener une vie décente. Notre objectif commun, associant entreprises privées et institutions publiques en charge de la santé : assurer une transition fluide entre ces deux ‘univers’ au lieu de les opposer.
“Time flies when you’re having fun…”
La conviction profonde que nous voulons partager cette fois (encore) consiste à connecter la question de l’absentéïsme à notre gestion du temps de travail en général. Nos entreprises y pensent déjà depuis un certain temps en proposant des modèles d’organisation où l’autonomie et la flexibilité entre autres se développent.
Nous devons toutefois aller plus loin. Collectivement, nous devons comprendre et accepter qu’il faudra travailler mieux et plus longtemps si nous voulons préserver la sécurité sociale et la solidarité qui nous sont chères. L’allongement du temps de travail – à l’échelle d’une carrière ainsi que dans notre rythme quotidien, hebdomadaire, mensuel… – est inscrit dans l’évolution de notre société.
Nous avons essayé d’y répondre jusqu’à présent en multipliant les mesures contraignantes pour forcer celles et ceux qui refusent de s’investir à retrouver le chemin du boulot. Nous pouvons constater sans regret que cela ne fonctionne pas puisque le nombre de personnes qui s’écartent de la sphère professionnelle, de manière épisodique ou de façon plus ‘définitive, augmente sans cesse.
Et si, dans un élan créatif, nous prenions le parti au sein de nos entreprises de nous concentrer en priorité sur les travailleurs présents en portant des idées simples et puissantes telles que le plaisir et la cohésion? Des principes forts qui permettent de maintenir durablement au travail celles et ceux qui, jour après jour, produisent de la valeur et alimentent ainsi le système de répartition qui nous permet de vivre ensemble.
Jean-Paul ERHARD