La culture du chiffre doit s’installer au sein des équipes en charge du People Management. Cela n’a jamais été vraiment le cas jusqu’à présent. Plusieurs raisons pour cela: une maîtrise approximative des données budgétaires, la complexité réglementaire et aussi cette foutue difficulté à quantifier tout ce que nous pensons immatériel (bien-être, motivation, créativité, intelligence collective…). Pourquoi est-il important que cela change ?
D’une part, parce que, après avoir tenu bon pendant la pandémie et sa phase de reprise, nos structures ne peuvent plus résister à la pression terrible des charges qui augmentent sans cesse. Et d’autre part, parce qu’il sera impossible d’impacter positivement le pouvoir d’achat des travailleurs sans jongler parfaitement avec les données chiffrées des coûts du personnel. Alors, on sort les calculettes et on y va ?
Il y a toujours des petits diables dans les détails. Il y a souvent une extrême prudence vis-à-vis des coûts liés à l’humain dans nos entreprises. Le terrain est miné par les sables mouvants de l’administration et par l’incertitude. Construire une équipe et la rémunérer ne garantit rien en matière de productivité. Et l’enveloppe budgétaire dédiée à cette équipe peut exploser sous l’effet d’une indexation, des absences, des accidents de la vie… Le terrain est miné et pourtant, il faudra bien l’explorer en profondeur.
Des professionnels RH un jour réconciliés avec les chiffres grâce à la culture Data?
Droit au but : le postulat selon lequel les profils en charge du People Management ne sont pas câblés pour jongler avec les chiffres est une pure connerie. Le développement d’une forme d’intelligence émotionnelle et la compréhension des dynamiques de groupe n’a jamais interdit à quiconque de pouvoir réaliser des équations plus ou moins simples.
Imaginer des hypothèses budgétaires et maîtriser le détail des coûts de nos structures n’est pas forcément à la portée de tous. Mais ce n’est pas non plus une tâche insurmontable. C’est ce qui est attendu aujourd’hui au sein des comités de direction et des conseils d’administration. Nous pouvons, en matière de RH comme ailleurs, modéliser les coûts des événements prévisibles. Les recrutements, les départs, les absences et bien sûr les performances exceptionnelles peuvent être chiffrées, ce qui permet d’offrir une meilleure sécurité de gestion à l’entreprise dans son ensemble (y compris donc à ses collaborateurs). C’est à cela, entre autres, que sert la culture de la data que nous défendons souvent.
Travail flexible et insécurité
La principale difficulté que nous pouvons rencontrer sur ce terrain est peut-être d’ordre philosophique. L’évolution de nos organisations du travail repose sur la flexibilité. Les coûts humains pèsent lourd dans les calculs de rentabilité de nos entreprises. Logiquement, nous cherchons les moyens de les mettre en phase avec des activités qui bougent avec l’évolution du marché. Loin d’être évident…
Il faudrait pouvoir réagir sans délai lorsque le marché va mal. Idem lorsque la demande explose.
Les solutions que nous avons imaginées pour faire face à l’incertitude reposent sur des statuts et des modèles d’organisation flexibles. Et nous avons été très créatifs. L’effet sur les travailleurs de cette flexibilité de statut et de rémunération, c’est une sensation de précarité. Celle-ci est renforcée par notre modèle de société qui considère que la sécurité d’emploi existe encore. Il suffit de faire l’expérience d’une demande de crédit bancaire pour s’en rendre compte. Solliciter une banque avec un statut flexible est une punition. Le décalage entre la réalité de nos entreprises et celle de nos vies administratives est trop grand. Changeons cela.
L’idée insupportable d’être considérés comme des variables d’ajustement
Dans un contexte de crise économique, le réflexe naturel de l’entreprise consiste à réduire ses coûts fixes. Simple… et inquiétant pour les équipes qui font nécessairement partie de cette catégorie de coûts. Cela reste problématique de vivre et de travailler avec l’étiquette de ‘variable d’ajustement’ lorsque la situation se dégrade.
En plus de représenter un centre de coûts peu malléable, les frais de personnels augmentent régulièrement au fil des indexations ou via la bête mise en application des échelles barémiques. Qui croit encore par ailleurs à une réforme fiscale qui permettrait d’alléger le poids de la taxation sur le travail pour nos entreprises? Personne.
Au final, il semble impossible de répondre à la fois aux attentes des travailleurs en matière de pouvoir d’achat et à la nécessité de ‘serrer’ les coûts lorsque la rentabilité est menacée.
Nous pouvons cependant y arriver, à condition de réussir à intégrer dans nos politiques de rémunération une part tangible qui soit liée aux résultats (concentrée à coup sûr sur les plus hauts revenus) et de prévoir que celle-ci soit suffisante pour résister lorsque les temps sont durs.
La maîtrise des coûts humains de nos organisations s’impose, aujourd’hui plus que jamais, comme une discipline essentielle. La maîtrise des chiffres est la condition sine qua non au développement d’une faculté d’anticipation qui nous a tellement manqué lors de toutes les crises précédentes.
Et malgré tout, rappelons-nous que les chiffres ne sont jamais une finalité. Ils ne servent qu’à accroître notre capacité à nous projeter vers un avenir prometteur. Une traduction binaire de notre leadership.
Jean-Paul Erhard